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dimanche 29 novembre 2009

L' éclair de la transcendance. Deux modes de pensée chez Platon.


 Le sujet moderne se dilue dans la vanité ( le vide ) de ses processus intérieurs lesquels sont mis en route par l'agitation qui vient du dehors. La pensée se trouve dans cet arrêt de l'action et aussi dans la suspension de la pensée mécanique ou procédurale, dans la mise entre parenthèse du narcissisme moderne qui est de l'ordre du paraître, ordre qui vaut pour l'apparence, et aussi une forme de psychisme dont l'aspect qui consiste à dominer l'autre à tout prix est l'une des composantes avec la satisfaction de soi ( Il n'y a pas plus sage que moi! ).
La pensée vraie se situe dans cet intervalle ou entre - deux, dans une sorte de retraite où l' homme rentre en lui-même où il ne s'éparpille plus. " Au lieu d'aller dehors, rentre en toi- même, c'est dans l'homme intérieur qu'habite la vérité." Saint Augustin, La cité de Dieu.

Chez Platon cette nature du penser présente deux modes différents et cela est repris par Jean François Mattéi dans l'ouvrage que j'analyse: un mode mythique et un mode rationnel.

En un mode mythique, la pensée est dans son orientation naturelle, la recherche d'un sens. Cela est développé dans Le Banquet, le dialogue sur l'Amour. L'Eros est ouvert sur l'altérité. Il est ce par quoi l'homme tente de faire cesser cette séparation originelle d'avec Dieu et d'avec ses semblables. A ce titre, l' Amour se situe dans cette intermédiaire entre le ciel et la terre, entre une nature divine et mortelle, entre le savoir et l'ignorance. Il est la quête d' un sens, d'une brêche entre le temps et l'éternité.

Je me suis évidemment posé la question de ce que cela pouvait signifier pour un sujet moderne, sans rejoindre une religion.
L 'amour dont il s'agit n'est pas l'attirance pour tel ou tel corps, ni l'adoration d' un Dieu unique et de ses différentes images mais de l'Amour de la Beauté, de l'Idée de Beauté dont les beaux corps, les belles âmes, les beaux paysages, ne sont que les reflets. La Beauté est une valeur dont on retrouve des éléments incarnés ou intellectualisés ou visibles et de cette valeur découlent le Bien et le Vrai pour former le socle fondamental des valeurs d'où se déclinent toutes les autres et qui sont transcendantes (elles se situent dans un au-delà, ce sont des Idées ou, et j'aime bien cette expression " un souci "; ainsi les hommes politiques devraient avoir le souci du Bien, du bonheur collectif, les journalistes, le souci du Vrai...
 Cette forme de pensée empêche l'homme de s'abîmer dans le bourbier de ses instincts en se référant à quelque chose qui le dépasse: une spiritualité laïque.

 Note, les Valeurs.

Une valeur est un objet de préférence, la noblesse pour un aristocrate, le courage pour un militaire. On peut dire qu'il s'agit d'une tension, d'un souci, d'une intuition et on retouve cela chez les enfants par exemple, d'une Idée en tant qu'elle peut être réalisée au terme d'un effort, un bon devoir, un beau tableau, un bon outil...
On distingue: - les valeurs économiques: le gain,le profit, l'argent;
                        - les valeurs vitales, la santé, le bien-être, le bonheur, la sécurité;
                       - les valeurs morales, très marquées par la dualité, bien /  mal : vertu / vice,  courage / lâcheté, véracité / mensonge..;
                        - les valeurs esthétiques, l'art sous toutes ses formes;
                        - les valeurs affectives, attachement / haine, amitié / inimitié...


" La valeur morale ne peut être remplacée par la valeur intelligence et j'ajouterai: Dieu merci!. "                Albert Einstein, Comment je vois le monde.


 "Les valeurs du verbe "être" sont supérieures aux valeurs du verbe avoir."
                                       François Bayrou, Penser le changement.


 Le mode rationnel de l'exercice de la pensée est plus éclairant ou plus accessible au sujet contemporain. "La brèche du penser" se traduit par une scission de l'âme en deux et se fait par une parole intérieure que l'âme ( l'esprit ) s 'adresse à elle-même, comme si les deux partenaires ne faisaient qu'un (ce que certains psychanalystes nomment "théâtre intérieur" bien que cette expression puisse recouper des phénomènes plus complexes ).
 La pensée, dianoia, et le discours, logos ne font qu'un, sauf que dans ce cas, c'est le dialogue intérieur et silencieux de l'âme avec elle-même.

Cette division dialogique peut s'interprêter comme une transposition de la duplicité existentielle de Platon et de son démon ( daimonion - la parole de l' homme avec lui-même -) qui se manifeste par la voix de Socrate. A noter ici aussi, un rapprochement avec la théorie freudienne: la psychanalyse n'est elle pas une confrontation interne entre Eros et Thanatos, l'instinct de vie et de mort, sous la surveillance d'un tiers?
Cette duplicité de l'âme avec elle-même est décrite dans le Parménide comme un éclair de l'instantané, une fulguration entre les points de vue opposés de l'âme qu'on ne peut situer car il ne se trouve dans aucun laps de temps.
Anna Arendt, que je cite souvent et dont la pensée sera l'objet d'un article, parle à ce sujet d' "un petit espace de non temps au coeur même du temps" propice à un jaillissement qui n'est pas un retour sur soi, mais une saisie immédiate du Bien.
Selon platon c'est à l'occasion de ce jaillissement de la transcendance que l'âme se détourne d' elle- même pour s' orienter vers le sens.

Que peut signifier cette conversion platonicienne  pour un sujet contemporain?
Selon moi, cela peut- être un changement de vie, un trader assoiffé de gain devient écrivain, par l'abandon de la violence pour un délinquant, par l'engagement dans des oeuvres humanitaires, mais aussi par une réflexion éthique dans la vie de tous les jours et là les occasions ne manquent pas.

" D'où vient que notre vie ne fragmente pas en une simple succession d'événements sans lien, mais se déplace comme une scène unitaire? Ce rapport humain à la totalité vient de l' Idée comme source fondamentale dont notre vie découle. Chaque donnée subjective ou objective est soumise à la critique de l ' Idée et en tant que l' Idée lui oppose l' énoncée de la transcendance."


                                                                     Jan Patocka Liberté et sacrifice.

 Patocka est un philosophe tchèque véritablement mis à mort par le pouvoir communiste en 1977.



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