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vendredi 29 novembre 2013

L'existentialisme, Sartre, Camus, Simone de Beauvoir et les autres - 3 -


L'herméneutique chez Heidegger

L'herméneutique désigne traditionnellement l'art d’interpréter les textes sacrés ou profanes. Elle est identifiée parfois à l'exégèse ou à la philologie. En philosophie moderne, l'herméneutique acquiert un sens plus large: elle devient un travail d'interprétation.

Herméneutique vient du grec "hermeneutikos", qui désigne l'art d'interpréter, le terme vient du dieu grec Hermès, le messager des dieux et l'interprète de leurs ordres. Herméneutique dans son acception philosophique signifie donc conduire à la compréhension. La tâche de l'herméneutique comprend une recherche et sa médiation.

Martin Heidegger placera l'ontologie et l'herméneutique sur le même plan. Il s'agit pour ce philosophe réputé difficile et dont l'objectif, ici, est non pas de simplifier, mais de présenter quelques éléments de sa pensée, pour parvenir au sujet qui me préoccupe, par goût et philosophie, l’existentialisme, une théorie vitaliste, selon le mot de Michel Onfray (employé à propos de la psychanalyse freudienne, que ce philosophe a critiqué avec une certaine sévérité, par ailleurs), il s'agit pour Heidegger de comprendre le Dasein (l'être-là, l'étre-le-là, l'existence humaine..), de l'analyser, tant au niveau de son existence quotidienne qu'à celui de la recherche philosophique.

Il s'agit d'une herméneutique  générale: rechercher ce que l'homme est, ce qu'il trouve dans le mond et notamment, quelle est la place de cet être qui n'existe qu'en se comprenant? Il s'agit d'une recherche en direction de la compréhension de soi d'une façon authentique.

En effet, Heidegger considère que la métaphysique traditionnelle (méta-phusis, ce qui est au-delà de la nature), depuis Platon et Aristote, se caractérise par un oubli total de l'être car son orientation théologique, (ce qu'il y a au-delà de la nature est Dieu) n'apporte pas grand-chose de concret pour l'homme. Auguste Comte y a vu un état transitoire de l'esprit humain: " La métaphysique n'est donc réellement, au fond, qu'une sorte de théologie énervée par des simplifications dissolvantes...On peut finalement envisager l'état métaphysique comme une sorte de maladie chronique naturellement inhérente à notre évolution mentale, individuelle ou collective, entre l'enfance et la virilité." Conte, Discours sur l'esprit positif, 1844. Kant y a vu une activité tournant "à vide", une prétendue "intuition intellectuelle": "Que l'esprit humain renonce une fois pour toute aux recherches métaphysiques, on doit tout aussi peu s'y attendre, qu'à nous voir, pour ne pas respirer un air impur, préférer suspendre totalement notre respiration." Kant Prolégomènes à toute métaphysique...1783.


Le dieu Hermès (assimilé à Mercure chez les Romains)
                                                       
Pour Heidegger, il s'agit  que l'homme qui est lui-même le Dasein, se comprenne, à partir du monde dans lequel il se trouve, sans rechercher un au-delà quelconque et, il n'est pas question d'imposer au Dasein des catégories pré-esquissées et surtout pas celles de la métaphysique traditionnelle, mais il est question de montrer ce qu'il est "de prime abord" et "le plus souvent", dans "sa quotidienneté" dans son "à chaque fois mienneté" et d'en dégager les structures essentielles, qui se maintiennent tout au long de l'existence, ce que le philosophe nomme "la quotidienneté fondamentale du Dasein". Et le premier élément de cette recherche est que l'existence n'est saisissable que du point de vue du temps: "L'être du Dasein se trouve dans sa temporalité".

Montre molle de Salvador Dali
Face à la déréliction, le sentiment d'abandon et de solitude et à la déchéance dans laquelle la quotidienneté font tomber le Dasein, face à l'existence inauthentique, selon Heidegger qui est un philosophe pessimiste, il existe un sentiment qui est une révélation privilégiée de l'être du Dasein (de la perception que nous avons de notre existence propre, dans notre intériorité), ce sentiment c'est l'angoisse. Ce n'est pas l'angoisse de quelque chose de précis, comme l'obscurité totale, le fait d'être perdu en montagne ou de nager très loin du rivage, mais une angoisse métaphysique qui naît devant l'être-au-monde, en éprouvant le néant. Ce qui angoisse l'angoisse est complétement indéterminé.

" Ce pourquoi l'angoisse s'angoisse est l'être-au-monde lui-même. L'angoisse fait s'effondrer l'étant disponible qui occupe le monde ambiant et, en général, tout étant intramondain. Le monde ne peut plus rien offrir, comme ne peut plus rien offrir la coexistence d'autrui. L'angoisse retire ainsi à l'être-là toute possibilité de se comprendre, comme il le fait dans sa déchéance à partir du monde et de l'explication publiquement établie. Elle rejette l'être-là vers ce pourquoi il s'angoisse, vers son savoir-être-au-monde authentique. L'angoisse singularise et isole l'être-là sur son être-au-monde inaliénable, être-au-monde qui se comprend essentiellement par le pro-jet de ses possibilités. Le pour-quoi de l'angoisse révèle donc l'être-là comme un être possible et dans un être qui ne saurait être que seul, de lui-même, et dans son isolement."  L'Être et le temps.

"L'angoisse isole et révèle l'être-là comme solus ipse (seul soi-même)... Ce solipsisme existantial  place l'être-là, et au sens le plus rigoureux, face au monde comme monde et en même temps face à lui-même en tant qu'être-au-monde." ibid

De ce caractère particulier de l'être-là isolé et en même temps dans le monde naît un caractère d'étrangeté, comme si on ne sentait pas chez-soi. L'angoisse a supprimé l'intimité naturelle de la quotidienneté moyenne.

                                                   
        





                                   

lundi 11 novembre 2013

L'existentialisme, Sartre, Camus, Simone de Beauvoir et les autres - 2 -


La philosophie de Sartre, une suite au subjectivisme de Descartes et  à l'analyse ontologique Heidegger

Si Sartre s'appuie sur la subjectivité cartésienne, en ce qui concerne sa philosophie de la liberté -la liberté provient de l'être même de la conscience, c'est à dire qu'elle existe, alors que les choses sont- il poursuit, on peut dire qu'il mène à son terme philosophique , les développements entrepris par Heidegger, dans son ouvrage majeur, Être et Temps, publié en 1927.

Heidegger entreprend de définir la question de l'être et du sens de l'être. L'homme est parmi les "étant" celui qui possède une certaine familiarité, une certaine "entente" et une compréhension, incomplète toutefois, du sens de l'être et c'est cela qu'il faut expliciter.

" L'"être" est le concept dont l'entente va de soi. Il n'est point de connaissance, d'énonciation, d'attitude à l'égard de soi-même où il ne soit fait à chaque fois usage de "être": l'expression en est donc "sans embarras", intelligible. Chacun entend assez: "Le ciel est bleu", "Je suis heureux", etc. Mais cette intelligibilité moyenne ne fait montre que de l'inintelligibilité qui est la sienne. Elle rend seulement manifeste qu'en toute attitude et en tout être, ...gît a priori une énigme.   Martin Heidegger, Être et Temps, chapitre 1, 1927.

Le philosophe a le devoir de décrire et de définir et d'analyser le mode "d'être" de l'être humain, c'est à dire celui-la même qui se trouve à l'origine de toute interprétation du sens de l'être. Par ailleurs, il se trouve que le mode "d'être" de l'être humain est totalement différent de celui des choses ou des animaux. Il est le mode d'être de la possibilité, celui de l'existence temporelle, d'un être qui est essentiellement un "existant". Il s'agit de décrire comment "l'être" apparaît (à l'homme) et il s'agit d’interpréter la manière dont il prend sens. Cette recherche ontologique s'établit dans les deux pôles de la phénoménologie et de l'herméneutique.

"Le premier pas qui soit, philosophiquement, à accomplir dans l'entente du problème de l'être, consiste à ne point y raconter d'histoire (celle des mythes ou des religions), c'est à dire à ne pas déterminer l'étant en tant qu'étant , dans la provenance qui est la sienne, par simple reconduction d'un autre étant, comme si cet être pouvait avoir jamais le caractère de quelque possible étant. En tant qu'il est questionné dans la question, l'être exige dès lors un mode de monstration à vue qui lui soit propre, qui se distingue en son essence du découvrement de l'entente. Par là, c'est donc aussi ce qui est demandé, au questionné, dans la question, à savoir le sens de l'être, qui réclame une conceptualité qui lui soit propre, une conceptualité qui se démarque à son tour essentiellement des concepts grâce auxquels l'étant atteint bien, quant à lui, à la détermination conforme à sa signification." (ibid, chapitre 2)

                                             
     


 Heidegger s'attachera donc à présenter les traits les plus caractéristiques de "l'étant" dont le mode d'être n'est autre que l'existence. Il s'agit d'un mode d'être irréductible aux genres d'être qui sont ceux des autres "étant". L'humain a un mode d'être unique en son genre.

"L'étant dont l'analyse est la tâche qui nous attend, nous le sommes à chaque fois nous-mêmes. L'être de cet étant est d'être à chaque fois le mien"( ibid, chapitre 9).

Ce mode d'être unique en son genre, présente deux dimensions: l'existence et l'"à chaque fois mienneté" de cette existence. C'est le lieu où l'homme est en demeure de répondre à la possibilité qui en découle, soit de façon authentique, soit de façon inauthentique. Le mot clé de la philosophie d' Heidegger qui exprime cette situation est "das Da sein", "l'être-le là". L'être humain a la charge d'être dans le temps et le lieu  où lui seul peut être témoin de la manifestation phénoménologique, et où lui seul a la possibilité de procéder à l'interprétation herméneutique du sens de la vérité de son être.
Le Dasein est un étant de type particulier: c'est le seul "étant" qui se pose la question de l'être; c'est le seul "étant" qui puisse dire qu'il existe. Le philosophe affirme donc  que l'existence n'est pas la particularité d'un "étant" qui tient son être d'un autre (Dieu), mais celui d'un "étant" dont la manière d'être consiste à se projeter en avant de soi, à anticiper constamment un à-venir par l'exercice d'un projet, celui d'exister et d'être au monde.

"Les deux caractères de l'"être- le- là" qui viennent ainsi d'être esquissés: préséance de l'"existentia" sur l'"essentia" d'une part, à-chaque-fois-mienneté- d'autre part, indiquent assez qu'une analyse de cet étant se trouve placé devant un secteur phénoménologique unique en son genre. Cet étant n'a jamais au grand jamais le mode d'être de ce qui est simplement "là-devant" au sein du monde. C'est pourquoi, il n'y a pas à le rendre thématiquement présent à la manière dont on trouve déjà là par avance de l'étant-là-devant. La pré-donnée qui est correctement la sienne est si peu ce qui s'entend de soi, que sa détermination constitue bel et bien une pièce maîtresse de l'analyse ontologique de cet étant. Lorsque s'accomplit avec sûreté la donnée préalable qu'il faut de cet étant, ce qui, avec cela, a lieu et occasion, c'est la possibilité pure et simple de porter à l'entente l'être de cet étant. mais quelque préalable qu'en soit encore l'analyse, elle exige bien toujours déjà l'assurance du point de départ qui soit le bon." ibid, chapitre 9


C'est cet étrange mode d'être particulier à l'homme qui sera étudié dans l’Être et Temps et qui contient en germe des éléments de la pensée sartrienne.

                                                         





                                                                     
  





lundi 4 novembre 2013

Some (old) music...


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dimanche 3 novembre 2013

Système de santé, l'impossible débat




Le gouvernement a présenté, le 23 septembre dernier, sa Stratégie Nationale de santé qui concerne une réorganisation du système de santé. Ce projet gouvernemental a fait l'objet d'un débat sur France Culture en présence de Didier Tabuteau, conseiller d'Etat, Stéphane Rozes, Président de Cap Conseil et enseignant à Siences-Po, Brice Couturier et Marc Voinchet, Journalistes spécialisés. Le, débat est d'une haute tenue mais comme tous les débats d'aujourd'hui et quel que soit le sujet, il est borné d'avance, hypothéqué, forcément incomplet car il fait l'abstraction du contexte global, celui de la crise du capitalisme néolibéral. C'est ce que nous explique Frédéric Stambach, Interne en Médecine générale et auteur du blog, Arrières-pensées, sur Médiapart.

Voici l'article



Les doxosophes

Ce lundi 23 septembre, à l'occasion de la présentation de la "Stratégie nationale de santé" par Marisol Touraine, Les matins de France Culture nous proposait une émission sur le thème de la santé (1). Si certaines réflexions sont dignes d'intérêt, je reste frappé par les ornières intellectuelles invisibles qui semblent écraser ces protagonistes de bonne foi, qui rendent impossible une pensée globale.

Pourtant à première vue les débatteurs sont loin d'être "les pires", il s'agit de Thierry Pech (directeur d'alternatives économiques), Stéphane Rozes (Président de Cap (Conseils,analyses et perspectives), enseignant à Sciences-Po et HEC), Didier Tabuteau (conseiller d’Etat et actuel responsable de la Chaire Santé de Sciences-Po), ainsi que Brice Couturier et Marc Voinchet (respectivement producteur/chroniqueur et animateur). Aucun doute, nous sommes en présence "d'experts", les titres ronflants nous annoncent même qu'il s'agit de personnages bien ancrés dans les institutions, de la légitimité à l'état brut.
Le ton est posé, les question érudites, le décor est planté pour une discussion entre personnes importantes, et qui "savent". C'est probablement de cette manière que la domination s'exerce le plus efficacement: en prenant les aspects de la compétence courtoise elle devient invisible et s'impose à nous comme une évidence.




Didier Tabuteau propose de revenir à une prise en charge à 80% par l'assurance maladie obligatoire des dépenses de santé, et seulement 20% par les mutuelles (actuellement nous sommes autour de 56% pris en charge par la sécurité sociale). L'argument est bon, un euro dépensé dans les mutuelles est un euro inégalitaire (plus le patient est pauvre plus il a besoin de soin et moins il peut se payer une mutuelle correspondant à ses besoins) et moins "rentable" puisque l'assurance maladie a le coût de fonctionnement le plus faible. Il s'agit aussi d'instaurer un stabilisateur automatique en cas de déficit des comptes de l'assurance maladie, ce dernier entraînerait automatiquement une hausse de la CSG pour compenser. Ces propositions se trouvent également défendues dans la tribune de Frédéric Pierru et André Grimaldi parue dans Marianne (2).

                                      




Autant dire que ces propositions vont à contre-courant de la privatisation rampante, évoquée par Brice Couturier dans sa chronique, donc de l'idéologie divulguée par les gouvernements français successifs et la commission européenne. Elles ont donc l'apparence du révolutionnaire, malheureusement il s'agit bien d'apparences. C'est à dire que la réflexion est bornée d'emblée, la thématique de la santé étant discutée en l'isolant du contexte global, exactement de la même manière dont sont isolés successivement les thèmes suivants: la dette publique, l'extrême droite, les retraites, le chômage, la guerre, etc...
Finalement en isolant chaque sujet les uns des autres nous finissons par oublier ce qui pourrait les relier, phénomène exacerbé par les invitations "d'experts" spécialistes d'un seul sujet, qui renforce l'isolement de la réflexion sur une seule thématique qui semble du coup devenir insoluble.
En d'autres termes la problématique pourrait être reformulée ainsi: comment améliorer la santé de la population et réduire le déficit de l'assurance maladie par la même occasion sans remettre en question le cadre institutionnel, donc structurel, qui pourtant détermine cette même santé ainsi que le financement de la protection sociale? Ou pour paraphraser Einstein (3), comment résoudre un problème en conservant le système de pensée qui l'a engendré?


                                                    

                                                

                                              

Rappelons quand même quelques évidences, le chômage de masse, le "trou de la sécu", la "crise", tous ces sujets sont inscrits dans le langage courant depuis...30ans minimum. Pour ceux qui, comme moi, sont nés dans les années 80 ces termes font parties du (non-) débat public depuis leur venue au monde. Nos experts ont  très bien intégré que loin d'être temporaire, un chômage variant entre 8 et 10% de la population active, associé à des emplois précaires dont les cotisations sociales sont réduites voire nulles (4), est un caractère permanent du régime néolibéral d'accumulation (5). Comme le définit plus précisément Frédéric Lordon, il s'agit d'un capitalisme de déréglementation à dominante financière, aboutissant structurellement à une diminution des salaires et des cotisations sociales (qui sont un salaire différé) en faveur du capital financier du fait de la contrainte actionnariale et de la concurrence (6).
D'où cette équation en apparence insoluble: comment espérer obtenir le moindre équilibre des comptes de la protection sociale quand son financement est assuré majoritairement par les cotisations sociales dépendantes...du travail. Ces "problèmes" sont tellement bien intégrés dans l'esprit de nos experts qu'ils ne jugent même plus nécessaire de les évoquer: ils font parties des caractéristiques immuables de notre société, nous devons donc faire avec  (surtout quand nous ne sommes pas directement concernés). Cerise sur le gâteau, les inactifs et les précaires sont ceux dont la santé est la plus détériorée ce qui entraînera mécaniquement une inflation des soins si rien n'est fait pour y remédier.
Il y a donc une part d'indécence, voire d'absurdité, à focaliser sur un déficit d'environ 11milliards, et oublier que l'état français perd plus de 100 milliards d'euros par an, d'après la cours des comptes, en fraude fiscale diverse qui est le fait des plus riches. Cela rappelle fortement le "starving the beast" des conservateurs américains, soit "affamer la bête" (comprendre bête = l'état) en amenuisant ses ressources financières afin de mettre la "bête" en tension et donc l'obliger à se "réformer", c'est à dire privatiser.

                                                         


Lorsque, loin des facultés de médecine et des ministères, nous commençons à creuser ces questions, nous pouvons nous apercevoir que l'épidémiologie nous apporte des éléments de réponse très puissants. Il est en effet bien démontré qu'il existe un lien entre les inégalités de richesse en sein d'une population et son état de santé. La santé étant également fortement déterminée par la sensation de maîtriser sa vie ou non (7). Ces données ont une portée politique globale puisque pour améliorer la santé d'une population et, ce qui n'est jamais dit son niveau de délinquance, il "suffirait" de réduire fortement les inégalités de revenu et de redonner du pouvoir au citoyen dans son travail mais aussi dans la sphère publique. Autrement dit il s'agit de rompre avec le système de pensée actuel, qui consiste à laisser les inégalités se creuser et le pouvoir se centraliser en s'évaporant vers Bruxelles.
C'est donc toute la construction européenne qui se trouve remise en question: la démocratie impliquant un peuple souverain, la monnaie ne peut plus en être séparée, les mouvements de capitaux doivent être contrôlés pour éviter tout chantage, la lutte contre la précarité est incompatible avec la concurrence totale entre les territoires, etc...
Une pensée recontextualisée implique nécessairement des solutions globales.

                                             
                        
                                



Pierre Bourdieu, s'inspirant de Platon, appelle doxosophes, les savants apparents des apparences (8). Ce sont eux qui peuplent nos esprits et nos ondes même celles de France Culture. Pourtant des pensées globales existent, la théorie de la régulation (d'inspiration marxiste), par exemple, s'applique à penser notre économie non pas comme ensemble de marchés mais comme rapport de force entre cinq formes institutionnelles que sont la monnaie, les formes de la concurrence, le rapport salarial, l'état et l'insertion internationale (9). Ainsi il devient impossible de penser l'une de ces institutions en l'isolant des autres, contre-pied de la fameuse "neutralité axiologique" du savant, notre monde devient alors intelligible.
Dans le dernier Marianne (10), des intellectuels ayant appelé à voter Hollande semble surpris et déçu de la tournure des évènements: Hollande aurait menti, quelle surprise en effet. On ne sait quelle attitude adopter face à ces "experts" qui avaient réussi l'exploit d'isoler le candidat Hollande de toutes ses prises de position politiques antérieures, aboutissant à l'étonnement de voir Hollande faire ce qu'il a toujours défendu. Ceux qui, dans l'esprit journalistique, sont censés avoir une pensée éclairante car expert dans tel domaine n'ont souvent qu'une pensée tronquée du fait de la spécialisation cloisonnée du savoir, cette pensée n'est pas supérieure à celle du citoyen, elle est juste plus autorisée. L'anthropologue David Harvey, s'inspirant de Marx, nomme ainsi "scientifique bourgeois" les doxosophes de Bourdieu, et précise :"la théorie marxienne part de la proposition selon laquelle dans la société, tous les phénomènes sont liés, et qu'un objet d'investigation particulier doit nécessairement intérioriser une relation à la totalité dont il fait partie."(11).
Les vrais savants sont ceux qui sont capables de penser le local sans jamais oublier le global, et vice-versa. Outre Bourdieu, la théorie de la régulation, nous pouvons citer également (sans aucune prétention exhaustive) une science sociale spinoziste très prometteuse (12) proposant justement de décloisonner la pensée, nous aidant ainsi à aborder le réel. A quand une chronique quotidienne pour ces penseurs?



(1) http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4704940
(2) Financement de la santé: freinons la privatisation, Tribune de Frédéric Pierru et André Grimaldi, Marianne n°856 septembre 2013
(3) "On ne résout pas les problèmes avec les modes de pensée qui les ont engendrés" Albert Einstein
(4) Les décennies aveugles: emploi et croissance (1970-2010), Philippe Askénazy, Le Seuil 2011
(5) J'utilise ici la notion de régime d'accumulation, concept forgé par la théorie de la régulation, défini comme "l'ensemble des régularités assurant une progression générale et relativement cohérente de l'accumulation du capital permettant de résorber ou d'étaler dans le temps les distorsions et déséquilibres qui naissent en permanence du processus lui-même", voir Théorie de la régulation, Tome1 les fondamentaux, Robert Boyer, La découverte 2004
(6) Jusqu’à quand?, Frédéric Lordon, Raison d'agir 2008
(7) L'égalité c'est la santé,  Richard WiIlkinson, desmopolis 2010
(8) Discours de Pierre Bourdieu à l'HEC le 27/11/95, http://www.youtube.com/watch?v=7qar0H2WVjE
(9) Théorie de la régulation, Tome 1 Les fondamentaux, Robert Boyer, La découverte 2004
(10) Hollande et les intellos la rupture, Marianne 857, septembre 2013
(11) Géographie de la domination, David Harvey, Les prairies ordinaires 2008
(12) Spinoza et les sciences sociales : De la puissance de la multitude à l'économie des affects sous la direction de Yves Citton et Frédéric Lordon, editions amsterdam 2010

 


                                                           
   


mardi 15 octobre 2013

L'existentialisme, Sartre, Camus, Simone de Beauvoir et les autres -1-



L'existentialisme désigne une philosophie dont les contours sont plus ou moins flous et à laquelle le sens commun attribue une certaine marginalité, une manière d'être un peu originale. Pourtant, ce terme désigne un mode de pensée véritable qui situe la philosophie au niveau précis de l'existence et aussi une orientation spécifique de la philosophie contemporaine. Faisons au préalable un retour sur le concept d'existence, ce qui est la moindre des choses.

Existence

L'existence est la propriété de l'être qui existe. Au delà de cette tautologie, il faut préciser qu'il y a des êtres qui existent et que d'autres n'existent pas, les Idées au sens platonicien du terme, les concepts mathématiques, alors que le Monde existe, l'Homme existe, ce qui conduit à poser la question: qu'est ce qui fait que l'existence est un mode d'être particulier?

Le terme latin ex-sistencia signifie "sortir de ", "naître", le préfixe exprime une sortie, une extériorisation qui d'emblée dénote une origine, une provenance externe. Le nom ex-sistentia, qui préfigure plus exactement le terme moderne, apparaît au Moyen Age. Ce sont les philosophes et les théologiens qui l'ont employé  et, son sens est tout à fait proche du sens étymologique, c'est à dire: le mode d'être de l'être qui reçoit son être d'un autre être que lui. Une citation latine l'exprime clairement: "Quid est enim consistere nisi ex aliquo sistere, hoc est substantialiser ex aliquo esse?" (Qu'est-ce qu'ex-sister, sinon provenir de quelque chose, c'est à dire substantiellement être à partir de quelque chose?). Cela signifie que ex-sister insiste sur la nécessaire dépendance de l'ex-sistant par rapport à l'être qui lui donne son origine. la relation est hiérarchique entre celui qui ex-siste et celui dont il tire son origine. L'être de la créature provient et reste sous la dépendance du Créateur. L'être vient de Dieu et d'une certaine façon, ce qui est créé est un moindre être puisque c'est un dérivé de l'être véritable. L'ex-sistant possède de l'être mais c'est un être différent, amoindri par rapport à celui qui est seul capable de donner de l'être.

                                                                           


Les Anciens n'utilisaient pas de terme pour exprimer la notion d'existence, ils parlaient "d'être". Si l'ex-sistere exprime le fait d'être en rapport avec une cause, "être" provient d'une étymologie différente: la racine ancienne est "es " que l'on peut traduire par " ce qui est authentique" avec le sens de croître, d'apparaître, subsister. Cette racine est à la base du "esse" latin. Les philosophes anciens utilisaient le mot "ousia"  dérivé de "enaî" qui signifie exister, être présent. Le nom "ex-ousia" aurait pu servir pour désigner la sortie de soi, dans la perspective d' existence et de liberté.
Cela conduit philosophiquement, dans la pensée occidentale,  à une attitude, avec le doute concernant l'existence de Dieu en tant que créateur de l'homme et de toute autre créature ou, d'une façon moins radicale par une autonomie nouvelle par rapport à Dieu, à penser qu'il n'y pas de logique de l'existence: elle n'est pas déduite d'un être infini, puisque l'être suprême ne saurait exister, puisqu'il tient son origine d'aucun autre.
 La créature, dans cette perspective, doit être considérée comme contingente, c'est à dire qu'elle peut être là ou ne pas être là, elle est ni nécessaire,  c'est à dire, qu'elle ne peut être conçue comme n'étant pas, elle n'est pas non plus impossible.
L'existence humaine apparaît comme dépourvue de raison et détachée de toute idée de Créateur. L'existence est le pur fait d'être; elle n'est aucunement le résultat d'un état préalable de l'être. "L'existence ne peut naître d'un raisonnement" dira justement le philosophe Alain. C'est ainsi qu'avec Descartes, le penseur le plus représentatif dans cette nouvelle approche de l''homme, une autre pensée s'exprime, apportant une alternative salutaire à la théologie réductrice: l'existence est le fait que quelque chose de possible est devenu actuel. Il y a dans l'existence une présence effective et, existence devient le synonyme de réalité actuelle (étant bien entendu que l'idée de Créateur subsiste) mais l'existence, en tant que fait d'être, est ce qui est va s'imposer.



Descartes, une nouvelle approche du concept d'existence

C'est au XVIème  siècle qu'avec la pensée cartésienne apparaît donc une manière nouvelle de considérer l'existence, qui finira par se substituer à la conception traditionnelle. Le concept s'affaiblit et se libère en tout cas de la relation théologique. Exister devient l'équivalent du verbe être. Pour le philosophe du cogito ergo sum, l'homme découvre qu'il existe en tant que chose qui pense: "Il n'y a pas de doute que je suis... Je suis, j'existe" Méditation seconde. Dieu existe, en tant qu'être parfait mais l'homme et le monde existe. Pour Descartes, l'existence est le simple fait d'être, sans considérer aucun ordre, aucune provenance ou rang.

Une nouvelle approche de l'existence reprise par Sartre

Sartre soulignera cette caractéristique de la pensée cartésienne: être conscient de son existence, c'est penser que l'on est et, l'identité de l'homme est cette pensée.

"Et telle est bien l'intuition première de Descartes: il a compris mieux que personne, que la moindre démarche de pensée engage toute la pensée, une pensée autonome qui se pose, en chacun de ses actes, dans son indépendance plénière et absolue." La liberté cartésienne, 1946, Situations I.





                                


à suivre

                                                             


                                                           

vendredi 11 octobre 2013

Patrice Chéreau



                               

Acteur, comédien et metteur en scène français, Patrice Chéreau (1944-2013) nous laisse une filmographie flamboyante.

Les films qui ont marqué toute une époque

Patrice Chéreau était aussi un homme de théâtre. Touche à tout, doué, il avait mis en scène, pour le festival de musique d'Aix-en-Provence, le fameux "Cosi fan tutte" de Mozart.






Lire à son sujet l'hommage rendu sur le blog de la "lectrice en campagne", La livrofage", c'est multi thématique, littéraire, riche en liens et très esthétique. Musical aussi.

La livrophage, lectrice en campagne



Isabelle Adjani dans "La reine Margot"


La crise. Quelle crise? Le point de vue de Patrick Viveret


Patrick Viveret

Patrick Viveret est titulaire d'une licence et du capes de philosophie et d'un doctorat de lInstitut d'étude politiques de Paris. Chargé sous le gouvernement Jospin par le secrétaire d'État à l'économie solidaire d'une mission visant à redéfinir les indicateurs de richesse, il est l'auteur du rapport Reconsidérer la Richesse (ed de l'Aube) et de livres comme Pourquoi ça ne va pas plus mal? (Fayard) dans lequel il établit la distinction entre « coopérateurs ludiques » et « guerriers puritains »3. Animateur de la JEC (jeunesse étudiante chrétienne) dans le cadre du mouvement du christianisme social des années soixante, il rejoindra le PSU après 1968, puis le Parti Socialiste et sera le rédacteur en chef des revues Faire puis Intervention qui s'inscrivent dans la tradition d'un socialisme démocratique et autogestionnaire. Chargé par Michel  Rocard d'une mission sur l'évaluation des politiques publiques en France il est nommé conseiller référendaire à la Cour des compte en 1990. Actif dans les mouvements altermondialistes, il a participé en  200 à Porto Alegre au premier Forum social et collabore régulièrement au journal Le Monde diplomatique..

Ses domaines d'intérêt sont la philosophie politique, l'économie, la comptabilité, les mouvements associatifs et des alternatives au développement non durable, telles qu'une « sobriété heureuse » démocratiquement débattue et choisie ou des « politiques publiques de mieux-être ».
En septembre 2008, il participe au forum de Grenoble, "Un nouveau monde ! Mondialisation, Environnement, Europe " Il y évoque en particulier un thème récurrent chez lu : de nouvelles formes de rapport au pouvoir.
En octobre 2010, il prononce la conférence d'ouverture du Salon de l'horizon vert de Villeneuve sur Lot sur le thème « Capitalisme vert ou sobriété heureuse ».
En décembre 2011, il participe à la journée "Action collective et développement durable : comment favoriser l'implication citoyenne et la coopération entre acteurs pour la réalisation d'objectifs partagés ? à Dijon.
En 2012, il participe à la fondation du collectif de citoyens Roosevelt 2012 qui propose une analyse originale des causes de la crise du système et des réformes économiques, sociales et écologiques avec Stéphane Hessel, Edgar Morin, Curtis Roosevelt (petit fils du président Franklin D. Roosevelt), Michel Rocard, Pierre Larrouturou . (d'après Wikipedia)


Patrick Viveret
  

 Un point de vue différent du refrain habituel

Selon Patrick Viveret, interrogé par Sylvain Bourmeau (Libération du 15 septembre 2013) le terme de crise est un mot écran qui en principe s'applique à une situation aiguë et ponctuelle. Mais ce terme est employé depuis les années 1970. On avait parlé à l'époque de crise pétrolière engendrée par la légère augmentation du prix du pétrole, après que les pays producteurs se soient fédérés en organisation (OPEP). Il faudrait plutôt parler de "grande transformation".
Il s'agit pour cet intellectuel d'une "...nouvelle mutation profonde, à la fois écologique, sociale, et informationnelle. Ou pour parler comme Edgard Morin d'une métamorphose".
Dans cet ordre d'idée, la crise serait "une arnaque inventée par une oligarchie mondiale pour préserver ses intérêts, alors que le monde est bousculé par cette grande transformation."
Les initiateurs de la crise s'appuient sur cette notion qui fait frémir le monde occidental: la dette. "Ce processus est apparu avec les politiques reaganiennes et tatchériennes et cela relève plus de l'escroquerie en bande organisée que de la crise".

Regarder à ce sujet cette courte vidéo ou Patrick Viveret explique dans les grandes lignes ce mécanisme de la dette.



                                                  
  
Pour répondre à ce discours de la dette, dont on se demande comment les partis politiques ont pu être assez naïfs pour en créer les conditions, en livrant les états pieds et poings liés à la rapacité privée et au dogme insensé de l'Europe ultralibérale, les citoyens s'organisent mais encore trop localement et sans véritable actions d'envergure. Mais, il s'agit d'un mouvement de fond:
"A l'échelle mondiale, la créativité est extraordinaire. Elle s'exprime simultanément dans deux directions: par cette vision transformatrice qu'elle dessine et, sur le terrain de la résistance au grand narratif de la crise. Alors bien sûr, ces initiatives sont souvent modestes et locales. Face à la crise du macro crédit, on oppose des expérimentations du micro crédit, pour ne prendre qu'un exemple. Non pas pour rester indéfiniment à cette échelle mais, au contraire, avec l'objectif de préparer des réformes plus générales du macro crédit."

Ces initiatives sont évidemment peu relayées par les médias conventionnels qui défendent en majorité et envers et contre tout le système, mais une véritable résistance s'organise. Patrick Viveret site les états généraux de la transformation citoyenne  qui doivent se tenir à partir du 12 octobre, dont on peut lire le programme ici.

Cette page d'accueil présente également des textes intéressants sur cette vision alternative.

Voici un autre lien où sont développées plus amplement les thèses de cette économiste alternatif.

Texte complémentaire, La mondialisation, Philippe Moreau Defarges, chercheur et codirecteur de l'Institut français des Relations international, professeur à Sciences Politiques et auteur entre autre d'un très intéressant Que sais-je, La Mondialisation, PUF, numéro 1687.

Selon ce spécialiste la mondialisation se traduit par une multiplication des échanges entre les êtres humains, sans commune mesure avec ce qui a pu exister précédemment. C'est le monde dans son intégralité qui est devenu un espace politique et économique unique ce qui a pour conséquence des circulations d'hommes, de biens, de capitaux de plus en plus intenses, une exploitation  de toutes les richesses de la planète et la mise en œuvre de moyens technologiques de plus en plus efficaces. Le monde est entré dans l’anthropocène, c'est à dire l'âge de l'homme succédant aux ères géologiques.

"Les êtres humains sont de plus en plus liés, que ce soit par l'occupation des territoires, l'urbanisation, les communications de toutes sortes. Ces liens impliquent l'homme dans sa totalité... la mondialisation, définie initialement comme un processus économique, a toujours été globale. " ibid, p 123.

On peut se demander si cette densification intense de l'interactivité entre les hommes ne va pas être le lieu d'une privation de liberté qui supplanterait l'échange: "la seule défense contre la mondialisation réside dans la soumission à ces lois: commercialisation, marchandisation, judiciarisation" ibid, p 124.

"Toute la terre constitue désormais un seul et unique marché. les destructions qui en résultent sont multiples constantes et inévitables... Les hommes ne sont-ils pas condamnés à se ligoter pour s'empêcher d'aller trop loin, pour ne pas vivre sur une planète surexploitée et bétonnée? La terre est la maison des hommes; elle est aussi leur prison, ils ne peuvent vivre ailleurs." ibid, p 124.

L'auteur termine justement sur la nécessité de la découverte d'une "sagesse planétaire" afin de gérer les urgences. On ne voit pas comment cette sagesse puisse être découverte par les hommes politiques ou les multinationales, il revient donc au citoyen de se mettre à la tâche et il faut oser penser que les premiers pas sont en cours.

ATELIER D’ÉCRITURE

La crise? Quelle crise? Il y a bien là un début qui incite à un exercice d'écriture polémique, c'est à dire liè au combat (polemos désigne la guerre en grec ancien). Le texte s'adresse à la raison, il utilise un lexique moral, éthique, mélioratif qui concerne la vertu, la liberté, la beauté, la tolérance... qui s'oppose à des termes péjoratifs. L'objectif est de convaincre, pour cela, il ne faut pas hésiter à utiliser des formes oratoires, des exclamations, des questions rhétoriques. Enfin, l'ironie peut être employée afin de fustiger ce que l'on combat, pas forcément la crise, bien d'autres sujets existent et sont des motifs d'indignation.

Envoyez vos textes à kayak83@orange.fr, ils seront publiés sur Écrire, Penser, Comprendre.

Au plaisir de vous lire! 







                               

lundi 23 septembre 2013

Some music with Ratatat




Ratatat est un groupe new-yorkais électro, qui produit une musique instrumentale de bonne facture, simple mais efficace: une guitare et un synthétiseur. Mike Stroud et Evan Mast composent des morceaux courts, brillants, dépaysants, urbains et un peu mélancoliques. Nice.




                                                           
                                                     
Mike Strand et Evan Mast

                                                                          http://img4.wikia.nocookie.net/__cb20140821065142/pokemon/images/thumb/b/bf/019Rattata_OS_anime_2.png/185px-019Rattata_OS_anime_2.png 

samedi 10 août 2013

Michel Onfray, une écriture flamboyante




Au gré de mes relectures, sans cesse digérées, sans cesse méditées, je relis Michel Onfray qui rajoute à la chaleur de l'été, la flamboyance de la pensée et de l'écriture. Voici quelques morceaux choisis du philosophe hédoniste qui me pardonnera sans doute de livrer au public quelques unes des réflexions choisies dans un de ses ouvrages, Politique du rebelle, Traité de résistance et d'insoumission, Editions Grasset,1997. A lire, comme tous les autres essais de cet auteur.

L'usine et le corps

"Le corps devenait une mécanique intégrée dans l'ensemble des fonctions de l'animal: respiration, digestion, circulation, flux d'airs et de vents, d'odeurs de miasmes, de solides et de liquides, de travail et de douleurs, d'hommes et de femmes. L'usine vivait à la manière d'un Léviathan embusqué dans les marécages. Les doigts pincés dans les clayons bleuissaient puis noircissaient de sang coagulé, les yeux piquaient à force de liquides brûlants instillés sous les paupières, les nerfs et les os du dos vrillaient l'influx et la colonne vertébrale dans les reins, les muscles des bras tremblaient tétanisés par la réitération de l'effort et la pensée vagabondait, mais toujours ramenée dans mon esprit au travail et aux conditions dans lesquelles elle s'exerçait.
La peau de mes mains commença à se gondoler, à gonfler, à blanchir, puis à partir, morceau par morceau..." ibid, page 18.

"Au pied de la chaîne de lavage où des jets de vapeur giclaient parfois en direction du visage de celui qui enfournait les cuves, j'ai travaillé avec un ouvrier fier de l'excroissance apparue à la jonction de son bras et de son avant-bras: une boule de viande, de chair, de muscle, construite et fabriquée par des milliers d'heures consacrées à la répétition du même geste..." ibid, page 19.

"Certains qui étaient là depuis trente ou quarante ans avaient fini par se fondre dans le paysage , par devenir des morceaux d'usine, des fragments de la bête qui soufflait toujours autant ses vapeurs méphitiques et ses brumes fades. Le matériau humain se confondait aux autres, au fer des poutrelles, au bois des palettes, à l'aluminium des cuves, au caillé flasque des fromages, aux mucosités noires qui dégoulinaient sur les murs comme des limaces..." ibid, page 24.

"Je fus du genre volant, sans tâche fixe, mais itinérant dans l'usine au gré des besoins, pour remplacer la plupart au moment des pauses de la matinée, quand le vin coulait à flots, quand les dents déchiquetaient les sandwichs épais et quand d'aucuns se dépensaient en ruts tragiques, enfermés dans les toilettes pour copuler comme des bêtes dans un zoo..." ibid, page 21.

                                                         


Les camps et le corps

"Pour tous ceux qui n'ont connu de destin que dans les fours crématoires et les cheminées de brique des camps; pour ceux dont les peaux tatouées ont servi d'abat-jour; pour ceux dont la graisse est devenue savon, les cheveux tissus; pour ceux, enfants, femmes et hommes qu'on a salis, avilis, humiliés, détruits; pour ceux qui en sont revenus, brisés, habités par des failles, des fêlures, des cauchemars qui creusent dans leurs lits la raideur des paillasses et transforment en suaire les draps où ils risquent tant de nuits d'être ensevelis par la mémoire sombre; pour tous ceux-là, il faut en finir avec les impasses de l'indicible et des expériences limites afin de vouloir la politique d'aujourd'hui et de demain éclairée par les leçons qu'il faut tirer de l'expérience concentrationnaire nazie.." ibid, page 35.

"Réduit à la pure individualité, à la protection de ce qui, en soi, fait le substrat de toute vie et de toute survie, Robert Antelme met au jour un principe nommé par lui la veine du corps selon lequel, devant le spectacle de celui qu'on bat, qu'on frappe, il y a toujours, au fond de soi, là où croupissent et gisent les parts maudites, une satisfaction d'un genre un peu particulier, une jouissance d'un mode étrange, qui suppose un plaisir à ne pas être cet homme frappé. Non pas qu'on jubile de la souffrance de l'autre, mais qu'on s'en protège, en évitant qu'elle nous contamine dés lors que l'événement vaut comme le plaisir d'une douleur évitée, principe d'un hédonisme négatif. Touché par la compassion, fragilisé par le condouloir, toute individualité soumise au rythme et aux cadences violentes des camps de concentration aurait purement et simplement explosé. Veine du corps donc..." ibid, page 40. 


Dans un autre domaine: Le journal de Personne, Pourquoi tant de haine?


                                                       



                                                     

          
Une dernière citation de Michel Onfray, pour la route:

"De l'individu ainsi décrit, montré, circonscrit, de cette figure rendue possible par le dénuement, la déconstruction maximale, il s'agit de faire quelque chose.Tombé au degré zéro de l'unité, face à ce qui permet de construire ou reconstruire, il s'agit maintenant de remonter vers une complexité qui détermine et définit le passage de l'ontologie et de la métaphysique à la politique.Toute politique, classiquement, propose un art de soumettre l'individu et d'en faire un sujet à l'aide des travers et avantages que permet une personne. Elle excelle comme technique d'intégration de l'individualité dans une logique holiste où l'atome perd sa nature, sa force et sa puissance. Toutes les utopies déclarées, mais également les projets de société qui ont prétendu se réclamer de la science, de la positivité, de l'utilitarisme le plus sobre, ont posé cet axiome: l'individu doit être détruit, puis recyclé, intégré dans une communauté pourvoyeuse de sens. Toutes les théories du contrat social s'appuient sur cette logique: fin de l'être indivisible, abandon du corps propre et avènement du corps social, seul habilité, ensuite, à revendiquer l’indivisibilité et l'unité habituellement associées à l'individu.
 Or, la politique qui construit sur, par et pour la monade reste à écrire. En tant qu'art d'oublier, de négliger, de contenir, de retenir, de canaliser, de dépasser ou de pulvériser l'individu, elle propose depuis des siècles des variations qui toutes se font sur le thème de cette négation. Jamais l'individu n'est perçu et conçu comme une entéléchie, mais toujours comme une parcelle, un fragment qui appelle, pour être réellement, un grand tout prometteur de sens et de vérité.Soumission, sujétion, assujettissement, renoncement, subsomption, c'est chaque fois au nom du tout qu'on appelle à en finir avec la partie, qui, pourtant triomphe comme un tout à elle seule." ibid, page 41.

ATELIER D’ÉCRITURE

Écrire un texte flamboyant, avec des images fortes, des métaphores, des comparaisons, des termes choisis pour leur sonorité, leur expressivité, leur connotation épique, poétique. Ce n'est pas un sujet facile mais l'essentiel est de démarrer. Vous pouvez envoyer aussi un passage coup de cœur, à kayak83@orange.fr, cela sera publié sur Écrire, penser, comprendre.

Au plaisir de vous lire!
                                                                                              
             

lundi 1 juillet 2013

Laurie Anderson, O superman


Laurie Anderson est auteur compositeur de rock progressif américain. Née à Chicago en 1950, elle fera des études d'Histoire de l'Art et s'installera à New York, dans les années 70 où elle exercera les métiers de sculpteur, de critique d'art, de photographe; elle fréquentera l'avant garde musicale de la Grosse Pomme. Cela se concrétisera par un premier spectacle, The Life and Times of Joseph Staline en 1973 , qui mêle de longues pièces musicales électroniques et des compositions audiovisuelles. En 1980, Laurie Anderson signe cette superbe et étrange ballade, O Superman, que j'ai envie de partager avec mes fidèles lecteurs et tous ceux de passage qui viennent sur ce blog, qui enregistre 52 000 visites à ce jour. Si cela procure un peu de connaissance, un peu de plaisir, un peu de rélexion ou de critique, c'est tant mieux, c'est le but.

Voici Laurie Anderson

                               

Voici cette chanson, étrange, planante, envoutante... une vidéo de You Tube,comment faire sans You Tube? Moi je me le demande.



Extrait des paroles:
 
"'Cause when love is gone, there's always justice.
And when justive is gone, there's always force.
And when force is gone, there's always Mom. Hi Mom!

So hold me, Mom, in your long arms. So hold me,
Mom, in your long arms.
In your automatic arms. Your electronic arms.
In your arms.
So hold me, Mom, in your long arms.
Your petrochemical arms. Your military arms.
In your electronic arms..."

  "Parce que quand l'amour est parti, il y a toujours la justice.
Et quand justice est partie, il y a toujours la force.
Et quand la force est partie, il y a toujours maman. Salut maman!

Alors tenez-moi, maman, dans vos bras longs. Alors tenez-moi,
Maman, dans vos bras longs.
Dans vos bras automatiques. Vos bras électroniques.
Dans vos bras.
Alors tenez-moi, maman, dans vos bras longs.
Vos bras pétrochimiques. Vos bras militaires.
Dans vos bras électroniques."

                                                 


                                                    

dimanche 30 juin 2013

Le peuple égyptien manifeste




                                                


L'aspect social et revendicatif du mouvement égyptien passé sous silence, d'après un article de Médiapart du 1/7/2013 ( Pierre Puchot) et dans lequel Gilbert Achcar, professeur à la School of Oriental and Afric Studies à Londres, auteur de Le peuple VEUT, est interviewé.

5544 manifestations en cinq mois, 42 manifestations par jour, selon le Dailynews Egypt mais les médias européens ne prêtent guère attention à l'aspect social de ce que l'on peut appeler la Révolution égyptienne. Pourtant les mouvement de grèves sont toujours d'actualité et les syndicats sont au front des revendications. A ce sujet, une nouvelle centrale syndicale, la FITU, forte de deux millions d'adhérents a vu le jour.
Les grèves ont touché tous les secteurs, publics comme privés, de l'industrie comme des services. Une des grandes revendications est l'instauration d'un salaire minimum et maximum. Cependant et pour l'instant, les luttes sociales restent sectorielles, sans mot d'ordre unificateur au niveau national.

Le gouvernement adhère aux thèses du FMI, dont on connaît l'efficacité et, se trouve coincé dans sa logique, dans son refrain néolibéral: capitalisme à court terme sans industrialisation et investissement durable, dérégulation au profit du secteur privé, avec comme passif les milliards détournés par l'ancien régime au profit des grandes familles. Corruption et paradis fiscaux, les deux mamelles...Il n'est pas étonnant que le chômage atteigne des niveaux record, surtout chez les jeunes.

Interview de Gilbert Achcar, France 24


                                                




                                                  

lundi 3 juin 2013

Images, les peuples manifestent

Manifestations en Espagne


                          
Manifestation en Turquie


                                                                 


Manifestation en Grèce
Manifestation à Francfort, contre l'austérité en 2012....
       
Manifestation de chômeurs en Algérie


http://www.lanouvellerepublique.fr/var/nrv2/storage/images/contenus/articles/2013/05/27/pas-de-fausse-note-pour-la-gay-pride-1481415/27737730-1-fre-FR/Pas-de-fausse-note-pour-la-Gay-Pride_reference.jpg
En France, c'est beaucoup plus sympa, comme on peut le voir: tout va bien


Par contre au Brésil, cela ne va pas du tout


Citoyens chiliens plutôt mal barrés dans un ruck...
Je pourrais continuer et remplir l'espace de mon blog. Parlons franchement: dans tous les pays du monde, les citoyens en prennent plein la gueule. Revenons au langage soutenu: n'y aurait-il pas un dysfonctionnement dans les démocraties?



La France à la botte des idées fixes de Bruxelles avec le professeur Barroso, en chef d'orchestre de la concurrence déloyale des pays à bas salaire sans protection sociale (lire à ce sujet la nième injonction de la Commission qui veut imposer la concurrence à bas coût sans compensation, sans niche fiscale, ce qui risquerait de mettre plusieurs dizaines de milliers de personnes aux chômage aux Antilles, par contre pour les paradis fiscaux , on attend toujours les mesures...)


La deuxième Conférence sociale s'est achevé le 21 juin par des annonces du gouvernement sur la réforme des retraites et les mesures en faveur de l'emploi. En ce qui concerne l'emploi, une réunion entre syndicat et patronat sera organisée dès le mois de juillet pour "recenser les besoins et mobiliser les financements" afin de faire entrer 30 000 demandeurs d'emplois en formation. L'objectif, louable, est de s'attaquer au problème des emplois non pourvus. Le gouvernement désire aussi accélérer les négociations sur le Contrat de génération, un seul secteur, celui des assurances, ayant signé un accord sur l'embauche des jeunes et le maintien en emplois des seniors. Pour les emplois d'avenir, le taux pourvu  est de 30 000 postes aujourd'hui; le chiffre de 100 000 devrait être atteint à la fin de l'année
Le chiffre d'un peu plus de 100 000 emplois non pourvus a été annoncé, ajoutés aux 100 000 emplois avenir, c'est environ 200 000 emplois qui seraient créés avant la fin de l'année.



Que réprésentent ces mesures en regard des chiffres du chômage? Un rappel, un triste rappel:

  - 39 800 nouveaux inscrits en avril 2013 qui s'ajoutent aux 3 264 000 de personnes sans emplois pour le 24ème mois consécutif de hausse du nombre de demandeurs d'emplois;

  - 4,8 millions de chômeurs en catégories A,B et C, soit une hausse de 1,2% sur un mois (avril) et de 10,8% par an, pour l'instant. Les chômeurs de la catégorie A sont ceux qui n'ont pas travaillé du tout, ceux de la catégorie B sont ceux qui ont travaillé moins de 72 heures et ceux de la catégorie C sont à la recherche d'un emploi et ont travaillé plus de 72 heures.


Jean-Paul Fitoussi est docteur en Sciences Économiques, professeur des Universités à l'Institut d'études politiques de Paris. Il a été membre du Conseil d'analyse économique et Président de l'Observatoire français de conjoncture économique (OFCE) de 1989 à 2010. Keynésien, cet universitaire de renommée internationale travaille sur les théories de l'inflation, du chômage et sur le rôle des politiques macroéconomiques. Il dénonce aussi "la volonté excessive de rentabilité de la part des détenteurs du capital financier".


"Le gouvernement peut utiliser l'ingénierie sociale, c'est à dire la création d'emplois jeunes, les contrats de génération, des CDD pour pourvoir les postes vacants mais, il ne peut pas avoir un grand projet de relance de la croissance économique qui, seul, pourrait créer des emplois de façon pérenne, à cause des règles que nous avons décidées avec les autres pays européens et sur lesquelles nous ne pouvons revenir. Les Américains comme les Japonais ne se préoccupent pas de règles budgétaires et de règles de déficit public: ils se préoccupent d'emplois. Donc, l'Europe pourrait absolument faire la même chose, surtout dans la phase actuelle où on sait très bien qu'on a perdu plus de cinq années de croissance.
Dans la période actuelle, il faut tout faire, utiliser tous les moyens possibles et imaginables pour réduire le nombre de chômeurs. Tous les moyens même ceux qui sont apparemment insensés car ce qui est insensé c'est d'avoir un taux de chômage aussi élevé dans des régimes démocratiques." 



En attendant que les voix de la raison soient entendues, le gouvernement Hollande colmate les brèches d'un navire en train de sombrer. 

Jusqu'où peut aller cette politique déshumanisée du tout économique qui tolère les paradis fiscaux, la fuite devant l'impôt des riches, des grandes société? Quels sont les résultats de la politique ultralibérale de l'Europe, de l'économie du tanker? Comment l'Europe met les pays à genoux et tolère que ses citoyens ne puissent plus se soigner, n'aient plus les moyens de se déplacer ni de s'éclairer? Un petit aperçu du désastre économique et social avec cette vidéo. Le pire est que certains que l'on pourrait ranger dans la catégorie des fascistes économiques rejettent la faute sur le peuple grec. Cette politique du bouc émissaire a été employée par le précédent gouvernement français vis à vis des fonctionnaires notamment. La violence économique, pendant que d'aucuns piochent allègrement dans les caisses de l'état ou planquent l'argent en Suisse. Une honte.

 De  nombreux économistes s'élèvent contre les politiques actuelles des états sous la coupe des instances irresponsables de l'Europe, Pierre Larrouturou, ingénieur, homme politique et diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris  est une de ces voix de plus en plus nombreuses qui s'élèvent contre l'inadéquation de l'économie à l'intérêt général. Voici quelques extraits d'une interview de Médiapart datant du 11 novembre 2011 et toujours d'actualité puisque rien n'a changé.