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jeudi 19 janvier 2017

La dé-consolidation démocratique

Pensées et complexités, le retour...




La "consolidation démocratique" est l'expression qui désigne le fait que des institutions mises en place de façon démocratique, une certaine richesse, une société civile forte, un système électoral sans faille, assurent la pérennité de la démocratie. Ainsi, le nombre de pays libres a augmenté régulièrement depuis les années 1970. Mais, depuis plus d'une décennie, depuis 2005 selon les observateurs de la vie politique dans le monde et notamment de la part de l'organisation Freedom House (1), un déclin de la liberté mondiale est enregistré. L'élection de Donald Trump aux États -Unis, le rôle de la Commission européenne, les dérives autoritaires de la Pologne, de la Hongrie sur ce continent et d'autres événements survenus en Amérique latine ou en Asie, sont des éléments de nature à accréditer cette thèse. Quel est l'état des lieux en ce début d'année 2017? La "dé consolidation démocratique" est-elle une vue de l'esprit ou recouvre-t-elle une certaine réalité? La démocratie est-elle en danger?

                                                    


De plus en plus de citoyens sont ouverts à l'éventualité de l'apparition d'un régime autoritaire. Si les générations nées après la guerre sont persuadées du bien-fondé de l'idéal démocratique, les jeunes gens nés après les années 1990 délaissent peu à peu cette valeur essentielle de la société et commencent à accepter l'éventualité de la mise en place d'un régime plus autoritaire. Aux États-Unis par exemple, si 75% des personnes nées dans les années 30 estimaient qu'il était essentiel de vivre dans une démocratie, moins de 30% de la génération née dans les années 1980 pense cela. (2). En France, une majorité est prête à accepter un gouvernement non élu de type technocratique, capable d'imposer des mesures impopulaires (3). Ce mouvement est particulièrement senible en Europe et aux États-Unis comme le montre le sondage publié par Philosophie Magazine de janvier 2017: 40% des Européens et seulement 31% des Américains estiment qu'il est important de vivre en démocratie. Un pourcentage non négligeable pensent que le vote est inutile, 13 et 26%.  Seulement 39%  des citoyens en Europe et 32%  en Amérique pensent qu'il est essentiel de protéger les libertés fondamentales, et un faible pourcentage de gens pensent qu'il n'est pas bon que l'armée prennent le pouvoir si le gouvernement se montre incompétent.

1- https://fr.wikipedia.org/wiki/Freedom_House
2- http://www.huffingtonpost.fr/2016/12/01/la-democratie-est-de-moins-en-moins-essentielle-pour-les-jeunes/
3- http://www.atlantico.fr/decryptage/sondage-choc-attirance-francais-pour-gouvernement-technocratique-non-elu-ou-autoritaire-jerome-fourquet-christophe-voogd-vincent-2418641.html

à suivre....

                                              

vendredi 29 novembre 2013

L'existentialisme, Sartre, Camus, Simone de Beauvoir et les autres - 3 -


L'herméneutique chez Heidegger

L'herméneutique désigne traditionnellement l'art d’interpréter les textes sacrés ou profanes. Elle est identifiée parfois à l'exégèse ou à la philologie. En philosophie moderne, l'herméneutique acquiert un sens plus large: elle devient un travail d'interprétation.

Herméneutique vient du grec "hermeneutikos", qui désigne l'art d'interpréter, le terme vient du dieu grec Hermès, le messager des dieux et l'interprète de leurs ordres. Herméneutique dans son acception philosophique signifie donc conduire à la compréhension. La tâche de l'herméneutique comprend une recherche et sa médiation.

Martin Heidegger placera l'ontologie et l'herméneutique sur le même plan. Il s'agit pour ce philosophe réputé difficile et dont l'objectif, ici, est non pas de simplifier, mais de présenter quelques éléments de sa pensée, pour parvenir au sujet qui me préoccupe, par goût et philosophie, l’existentialisme, une théorie vitaliste, selon le mot de Michel Onfray (employé à propos de la psychanalyse freudienne, que ce philosophe a critiqué avec une certaine sévérité, par ailleurs), il s'agit pour Heidegger de comprendre le Dasein (l'être-là, l'étre-le-là, l'existence humaine..), de l'analyser, tant au niveau de son existence quotidienne qu'à celui de la recherche philosophique.

Il s'agit d'une herméneutique  générale: rechercher ce que l'homme est, ce qu'il trouve dans le mond et notamment, quelle est la place de cet être qui n'existe qu'en se comprenant? Il s'agit d'une recherche en direction de la compréhension de soi d'une façon authentique.

En effet, Heidegger considère que la métaphysique traditionnelle (méta-phusis, ce qui est au-delà de la nature), depuis Platon et Aristote, se caractérise par un oubli total de l'être car son orientation théologique, (ce qu'il y a au-delà de la nature est Dieu) n'apporte pas grand-chose de concret pour l'homme. Auguste Comte y a vu un état transitoire de l'esprit humain: " La métaphysique n'est donc réellement, au fond, qu'une sorte de théologie énervée par des simplifications dissolvantes...On peut finalement envisager l'état métaphysique comme une sorte de maladie chronique naturellement inhérente à notre évolution mentale, individuelle ou collective, entre l'enfance et la virilité." Conte, Discours sur l'esprit positif, 1844. Kant y a vu une activité tournant "à vide", une prétendue "intuition intellectuelle": "Que l'esprit humain renonce une fois pour toute aux recherches métaphysiques, on doit tout aussi peu s'y attendre, qu'à nous voir, pour ne pas respirer un air impur, préférer suspendre totalement notre respiration." Kant Prolégomènes à toute métaphysique...1783.


Le dieu Hermès (assimilé à Mercure chez les Romains)
                                                       
Pour Heidegger, il s'agit  que l'homme qui est lui-même le Dasein, se comprenne, à partir du monde dans lequel il se trouve, sans rechercher un au-delà quelconque et, il n'est pas question d'imposer au Dasein des catégories pré-esquissées et surtout pas celles de la métaphysique traditionnelle, mais il est question de montrer ce qu'il est "de prime abord" et "le plus souvent", dans "sa quotidienneté" dans son "à chaque fois mienneté" et d'en dégager les structures essentielles, qui se maintiennent tout au long de l'existence, ce que le philosophe nomme "la quotidienneté fondamentale du Dasein". Et le premier élément de cette recherche est que l'existence n'est saisissable que du point de vue du temps: "L'être du Dasein se trouve dans sa temporalité".

Montre molle de Salvador Dali
Face à la déréliction, le sentiment d'abandon et de solitude et à la déchéance dans laquelle la quotidienneté font tomber le Dasein, face à l'existence inauthentique, selon Heidegger qui est un philosophe pessimiste, il existe un sentiment qui est une révélation privilégiée de l'être du Dasein (de la perception que nous avons de notre existence propre, dans notre intériorité), ce sentiment c'est l'angoisse. Ce n'est pas l'angoisse de quelque chose de précis, comme l'obscurité totale, le fait d'être perdu en montagne ou de nager très loin du rivage, mais une angoisse métaphysique qui naît devant l'être-au-monde, en éprouvant le néant. Ce qui angoisse l'angoisse est complétement indéterminé.

" Ce pourquoi l'angoisse s'angoisse est l'être-au-monde lui-même. L'angoisse fait s'effondrer l'étant disponible qui occupe le monde ambiant et, en général, tout étant intramondain. Le monde ne peut plus rien offrir, comme ne peut plus rien offrir la coexistence d'autrui. L'angoisse retire ainsi à l'être-là toute possibilité de se comprendre, comme il le fait dans sa déchéance à partir du monde et de l'explication publiquement établie. Elle rejette l'être-là vers ce pourquoi il s'angoisse, vers son savoir-être-au-monde authentique. L'angoisse singularise et isole l'être-là sur son être-au-monde inaliénable, être-au-monde qui se comprend essentiellement par le pro-jet de ses possibilités. Le pour-quoi de l'angoisse révèle donc l'être-là comme un être possible et dans un être qui ne saurait être que seul, de lui-même, et dans son isolement."  L'Être et le temps.

"L'angoisse isole et révèle l'être-là comme solus ipse (seul soi-même)... Ce solipsisme existantial  place l'être-là, et au sens le plus rigoureux, face au monde comme monde et en même temps face à lui-même en tant qu'être-au-monde." ibid

De ce caractère particulier de l'être-là isolé et en même temps dans le monde naît un caractère d'étrangeté, comme si on ne sentait pas chez-soi. L'angoisse a supprimé l'intimité naturelle de la quotidienneté moyenne.

                                                   
        





                                   

lundi 11 novembre 2013

L'existentialisme, Sartre, Camus, Simone de Beauvoir et les autres - 2 -


La philosophie de Sartre, une suite au subjectivisme de Descartes et  à l'analyse ontologique Heidegger

Si Sartre s'appuie sur la subjectivité cartésienne, en ce qui concerne sa philosophie de la liberté -la liberté provient de l'être même de la conscience, c'est à dire qu'elle existe, alors que les choses sont- il poursuit, on peut dire qu'il mène à son terme philosophique , les développements entrepris par Heidegger, dans son ouvrage majeur, Être et Temps, publié en 1927.

Heidegger entreprend de définir la question de l'être et du sens de l'être. L'homme est parmi les "étant" celui qui possède une certaine familiarité, une certaine "entente" et une compréhension, incomplète toutefois, du sens de l'être et c'est cela qu'il faut expliciter.

" L'"être" est le concept dont l'entente va de soi. Il n'est point de connaissance, d'énonciation, d'attitude à l'égard de soi-même où il ne soit fait à chaque fois usage de "être": l'expression en est donc "sans embarras", intelligible. Chacun entend assez: "Le ciel est bleu", "Je suis heureux", etc. Mais cette intelligibilité moyenne ne fait montre que de l'inintelligibilité qui est la sienne. Elle rend seulement manifeste qu'en toute attitude et en tout être, ...gît a priori une énigme.   Martin Heidegger, Être et Temps, chapitre 1, 1927.

Le philosophe a le devoir de décrire et de définir et d'analyser le mode "d'être" de l'être humain, c'est à dire celui-la même qui se trouve à l'origine de toute interprétation du sens de l'être. Par ailleurs, il se trouve que le mode "d'être" de l'être humain est totalement différent de celui des choses ou des animaux. Il est le mode d'être de la possibilité, celui de l'existence temporelle, d'un être qui est essentiellement un "existant". Il s'agit de décrire comment "l'être" apparaît (à l'homme) et il s'agit d’interpréter la manière dont il prend sens. Cette recherche ontologique s'établit dans les deux pôles de la phénoménologie et de l'herméneutique.

"Le premier pas qui soit, philosophiquement, à accomplir dans l'entente du problème de l'être, consiste à ne point y raconter d'histoire (celle des mythes ou des religions), c'est à dire à ne pas déterminer l'étant en tant qu'étant , dans la provenance qui est la sienne, par simple reconduction d'un autre étant, comme si cet être pouvait avoir jamais le caractère de quelque possible étant. En tant qu'il est questionné dans la question, l'être exige dès lors un mode de monstration à vue qui lui soit propre, qui se distingue en son essence du découvrement de l'entente. Par là, c'est donc aussi ce qui est demandé, au questionné, dans la question, à savoir le sens de l'être, qui réclame une conceptualité qui lui soit propre, une conceptualité qui se démarque à son tour essentiellement des concepts grâce auxquels l'étant atteint bien, quant à lui, à la détermination conforme à sa signification." (ibid, chapitre 2)

                                             
     


 Heidegger s'attachera donc à présenter les traits les plus caractéristiques de "l'étant" dont le mode d'être n'est autre que l'existence. Il s'agit d'un mode d'être irréductible aux genres d'être qui sont ceux des autres "étant". L'humain a un mode d'être unique en son genre.

"L'étant dont l'analyse est la tâche qui nous attend, nous le sommes à chaque fois nous-mêmes. L'être de cet étant est d'être à chaque fois le mien"( ibid, chapitre 9).

Ce mode d'être unique en son genre, présente deux dimensions: l'existence et l'"à chaque fois mienneté" de cette existence. C'est le lieu où l'homme est en demeure de répondre à la possibilité qui en découle, soit de façon authentique, soit de façon inauthentique. Le mot clé de la philosophie d' Heidegger qui exprime cette situation est "das Da sein", "l'être-le là". L'être humain a la charge d'être dans le temps et le lieu  où lui seul peut être témoin de la manifestation phénoménologique, et où lui seul a la possibilité de procéder à l'interprétation herméneutique du sens de la vérité de son être.
Le Dasein est un étant de type particulier: c'est le seul "étant" qui se pose la question de l'être; c'est le seul "étant" qui puisse dire qu'il existe. Le philosophe affirme donc  que l'existence n'est pas la particularité d'un "étant" qui tient son être d'un autre (Dieu), mais celui d'un "étant" dont la manière d'être consiste à se projeter en avant de soi, à anticiper constamment un à-venir par l'exercice d'un projet, celui d'exister et d'être au monde.

"Les deux caractères de l'"être- le- là" qui viennent ainsi d'être esquissés: préséance de l'"existentia" sur l'"essentia" d'une part, à-chaque-fois-mienneté- d'autre part, indiquent assez qu'une analyse de cet étant se trouve placé devant un secteur phénoménologique unique en son genre. Cet étant n'a jamais au grand jamais le mode d'être de ce qui est simplement "là-devant" au sein du monde. C'est pourquoi, il n'y a pas à le rendre thématiquement présent à la manière dont on trouve déjà là par avance de l'étant-là-devant. La pré-donnée qui est correctement la sienne est si peu ce qui s'entend de soi, que sa détermination constitue bel et bien une pièce maîtresse de l'analyse ontologique de cet étant. Lorsque s'accomplit avec sûreté la donnée préalable qu'il faut de cet étant, ce qui, avec cela, a lieu et occasion, c'est la possibilité pure et simple de porter à l'entente l'être de cet étant. mais quelque préalable qu'en soit encore l'analyse, elle exige bien toujours déjà l'assurance du point de départ qui soit le bon." ibid, chapitre 9


C'est cet étrange mode d'être particulier à l'homme qui sera étudié dans l’Être et Temps et qui contient en germe des éléments de la pensée sartrienne.

                                                         





                                                                     
  





lundi 4 novembre 2013

Some (old) music...


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dimanche 3 novembre 2013

Système de santé, l'impossible débat




Le gouvernement a présenté, le 23 septembre dernier, sa Stratégie Nationale de santé qui concerne une réorganisation du système de santé. Ce projet gouvernemental a fait l'objet d'un débat sur France Culture en présence de Didier Tabuteau, conseiller d'Etat, Stéphane Rozes, Président de Cap Conseil et enseignant à Siences-Po, Brice Couturier et Marc Voinchet, Journalistes spécialisés. Le, débat est d'une haute tenue mais comme tous les débats d'aujourd'hui et quel que soit le sujet, il est borné d'avance, hypothéqué, forcément incomplet car il fait l'abstraction du contexte global, celui de la crise du capitalisme néolibéral. C'est ce que nous explique Frédéric Stambach, Interne en Médecine générale et auteur du blog, Arrières-pensées, sur Médiapart.

Voici l'article



Les doxosophes

Ce lundi 23 septembre, à l'occasion de la présentation de la "Stratégie nationale de santé" par Marisol Touraine, Les matins de France Culture nous proposait une émission sur le thème de la santé (1). Si certaines réflexions sont dignes d'intérêt, je reste frappé par les ornières intellectuelles invisibles qui semblent écraser ces protagonistes de bonne foi, qui rendent impossible une pensée globale.

Pourtant à première vue les débatteurs sont loin d'être "les pires", il s'agit de Thierry Pech (directeur d'alternatives économiques), Stéphane Rozes (Président de Cap (Conseils,analyses et perspectives), enseignant à Sciences-Po et HEC), Didier Tabuteau (conseiller d’Etat et actuel responsable de la Chaire Santé de Sciences-Po), ainsi que Brice Couturier et Marc Voinchet (respectivement producteur/chroniqueur et animateur). Aucun doute, nous sommes en présence "d'experts", les titres ronflants nous annoncent même qu'il s'agit de personnages bien ancrés dans les institutions, de la légitimité à l'état brut.
Le ton est posé, les question érudites, le décor est planté pour une discussion entre personnes importantes, et qui "savent". C'est probablement de cette manière que la domination s'exerce le plus efficacement: en prenant les aspects de la compétence courtoise elle devient invisible et s'impose à nous comme une évidence.




Didier Tabuteau propose de revenir à une prise en charge à 80% par l'assurance maladie obligatoire des dépenses de santé, et seulement 20% par les mutuelles (actuellement nous sommes autour de 56% pris en charge par la sécurité sociale). L'argument est bon, un euro dépensé dans les mutuelles est un euro inégalitaire (plus le patient est pauvre plus il a besoin de soin et moins il peut se payer une mutuelle correspondant à ses besoins) et moins "rentable" puisque l'assurance maladie a le coût de fonctionnement le plus faible. Il s'agit aussi d'instaurer un stabilisateur automatique en cas de déficit des comptes de l'assurance maladie, ce dernier entraînerait automatiquement une hausse de la CSG pour compenser. Ces propositions se trouvent également défendues dans la tribune de Frédéric Pierru et André Grimaldi parue dans Marianne (2).

                                      




Autant dire que ces propositions vont à contre-courant de la privatisation rampante, évoquée par Brice Couturier dans sa chronique, donc de l'idéologie divulguée par les gouvernements français successifs et la commission européenne. Elles ont donc l'apparence du révolutionnaire, malheureusement il s'agit bien d'apparences. C'est à dire que la réflexion est bornée d'emblée, la thématique de la santé étant discutée en l'isolant du contexte global, exactement de la même manière dont sont isolés successivement les thèmes suivants: la dette publique, l'extrême droite, les retraites, le chômage, la guerre, etc...
Finalement en isolant chaque sujet les uns des autres nous finissons par oublier ce qui pourrait les relier, phénomène exacerbé par les invitations "d'experts" spécialistes d'un seul sujet, qui renforce l'isolement de la réflexion sur une seule thématique qui semble du coup devenir insoluble.
En d'autres termes la problématique pourrait être reformulée ainsi: comment améliorer la santé de la population et réduire le déficit de l'assurance maladie par la même occasion sans remettre en question le cadre institutionnel, donc structurel, qui pourtant détermine cette même santé ainsi que le financement de la protection sociale? Ou pour paraphraser Einstein (3), comment résoudre un problème en conservant le système de pensée qui l'a engendré?


                                                    

                                                

                                              

Rappelons quand même quelques évidences, le chômage de masse, le "trou de la sécu", la "crise", tous ces sujets sont inscrits dans le langage courant depuis...30ans minimum. Pour ceux qui, comme moi, sont nés dans les années 80 ces termes font parties du (non-) débat public depuis leur venue au monde. Nos experts ont  très bien intégré que loin d'être temporaire, un chômage variant entre 8 et 10% de la population active, associé à des emplois précaires dont les cotisations sociales sont réduites voire nulles (4), est un caractère permanent du régime néolibéral d'accumulation (5). Comme le définit plus précisément Frédéric Lordon, il s'agit d'un capitalisme de déréglementation à dominante financière, aboutissant structurellement à une diminution des salaires et des cotisations sociales (qui sont un salaire différé) en faveur du capital financier du fait de la contrainte actionnariale et de la concurrence (6).
D'où cette équation en apparence insoluble: comment espérer obtenir le moindre équilibre des comptes de la protection sociale quand son financement est assuré majoritairement par les cotisations sociales dépendantes...du travail. Ces "problèmes" sont tellement bien intégrés dans l'esprit de nos experts qu'ils ne jugent même plus nécessaire de les évoquer: ils font parties des caractéristiques immuables de notre société, nous devons donc faire avec  (surtout quand nous ne sommes pas directement concernés). Cerise sur le gâteau, les inactifs et les précaires sont ceux dont la santé est la plus détériorée ce qui entraînera mécaniquement une inflation des soins si rien n'est fait pour y remédier.
Il y a donc une part d'indécence, voire d'absurdité, à focaliser sur un déficit d'environ 11milliards, et oublier que l'état français perd plus de 100 milliards d'euros par an, d'après la cours des comptes, en fraude fiscale diverse qui est le fait des plus riches. Cela rappelle fortement le "starving the beast" des conservateurs américains, soit "affamer la bête" (comprendre bête = l'état) en amenuisant ses ressources financières afin de mettre la "bête" en tension et donc l'obliger à se "réformer", c'est à dire privatiser.

                                                         


Lorsque, loin des facultés de médecine et des ministères, nous commençons à creuser ces questions, nous pouvons nous apercevoir que l'épidémiologie nous apporte des éléments de réponse très puissants. Il est en effet bien démontré qu'il existe un lien entre les inégalités de richesse en sein d'une population et son état de santé. La santé étant également fortement déterminée par la sensation de maîtriser sa vie ou non (7). Ces données ont une portée politique globale puisque pour améliorer la santé d'une population et, ce qui n'est jamais dit son niveau de délinquance, il "suffirait" de réduire fortement les inégalités de revenu et de redonner du pouvoir au citoyen dans son travail mais aussi dans la sphère publique. Autrement dit il s'agit de rompre avec le système de pensée actuel, qui consiste à laisser les inégalités se creuser et le pouvoir se centraliser en s'évaporant vers Bruxelles.
C'est donc toute la construction européenne qui se trouve remise en question: la démocratie impliquant un peuple souverain, la monnaie ne peut plus en être séparée, les mouvements de capitaux doivent être contrôlés pour éviter tout chantage, la lutte contre la précarité est incompatible avec la concurrence totale entre les territoires, etc...
Une pensée recontextualisée implique nécessairement des solutions globales.

                                             
                        
                                



Pierre Bourdieu, s'inspirant de Platon, appelle doxosophes, les savants apparents des apparences (8). Ce sont eux qui peuplent nos esprits et nos ondes même celles de France Culture. Pourtant des pensées globales existent, la théorie de la régulation (d'inspiration marxiste), par exemple, s'applique à penser notre économie non pas comme ensemble de marchés mais comme rapport de force entre cinq formes institutionnelles que sont la monnaie, les formes de la concurrence, le rapport salarial, l'état et l'insertion internationale (9). Ainsi il devient impossible de penser l'une de ces institutions en l'isolant des autres, contre-pied de la fameuse "neutralité axiologique" du savant, notre monde devient alors intelligible.
Dans le dernier Marianne (10), des intellectuels ayant appelé à voter Hollande semble surpris et déçu de la tournure des évènements: Hollande aurait menti, quelle surprise en effet. On ne sait quelle attitude adopter face à ces "experts" qui avaient réussi l'exploit d'isoler le candidat Hollande de toutes ses prises de position politiques antérieures, aboutissant à l'étonnement de voir Hollande faire ce qu'il a toujours défendu. Ceux qui, dans l'esprit journalistique, sont censés avoir une pensée éclairante car expert dans tel domaine n'ont souvent qu'une pensée tronquée du fait de la spécialisation cloisonnée du savoir, cette pensée n'est pas supérieure à celle du citoyen, elle est juste plus autorisée. L'anthropologue David Harvey, s'inspirant de Marx, nomme ainsi "scientifique bourgeois" les doxosophes de Bourdieu, et précise :"la théorie marxienne part de la proposition selon laquelle dans la société, tous les phénomènes sont liés, et qu'un objet d'investigation particulier doit nécessairement intérioriser une relation à la totalité dont il fait partie."(11).
Les vrais savants sont ceux qui sont capables de penser le local sans jamais oublier le global, et vice-versa. Outre Bourdieu, la théorie de la régulation, nous pouvons citer également (sans aucune prétention exhaustive) une science sociale spinoziste très prometteuse (12) proposant justement de décloisonner la pensée, nous aidant ainsi à aborder le réel. A quand une chronique quotidienne pour ces penseurs?



(1) http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4704940
(2) Financement de la santé: freinons la privatisation, Tribune de Frédéric Pierru et André Grimaldi, Marianne n°856 septembre 2013
(3) "On ne résout pas les problèmes avec les modes de pensée qui les ont engendrés" Albert Einstein
(4) Les décennies aveugles: emploi et croissance (1970-2010), Philippe Askénazy, Le Seuil 2011
(5) J'utilise ici la notion de régime d'accumulation, concept forgé par la théorie de la régulation, défini comme "l'ensemble des régularités assurant une progression générale et relativement cohérente de l'accumulation du capital permettant de résorber ou d'étaler dans le temps les distorsions et déséquilibres qui naissent en permanence du processus lui-même", voir Théorie de la régulation, Tome1 les fondamentaux, Robert Boyer, La découverte 2004
(6) Jusqu’à quand?, Frédéric Lordon, Raison d'agir 2008
(7) L'égalité c'est la santé,  Richard WiIlkinson, desmopolis 2010
(8) Discours de Pierre Bourdieu à l'HEC le 27/11/95, http://www.youtube.com/watch?v=7qar0H2WVjE
(9) Théorie de la régulation, Tome 1 Les fondamentaux, Robert Boyer, La découverte 2004
(10) Hollande et les intellos la rupture, Marianne 857, septembre 2013
(11) Géographie de la domination, David Harvey, Les prairies ordinaires 2008
(12) Spinoza et les sciences sociales : De la puissance de la multitude à l'économie des affects sous la direction de Yves Citton et Frédéric Lordon, editions amsterdam 2010