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lundi 14 mai 2012

Sartre, lectures



La liberté

Ainsi l'homme éprouve sa liberté qui est à la fois terrible et honorable puisque c'est par cette liberté, par le projet qui en découle, que l'homme se saisit en tant qu'être humain. L'hypothèse divine est rejetée. L'hypothèse de l'inconscient et des pulsions est éliminée. Reste la vision d'un univers informe, dénué de sens par lui-même. C'est la conscience qui va lui donner ses contours et ses significations; c'est par celle-ci que vont être fixées les valeurs: le bien, le mal, le beau, l'utile, le juste, qui seront déterminées, non par essence mais par l'homme qui décide en pleine liberté mais aussi en pleine angoisse.
Dieu n'existe plus, dans la perspective sartrienne, les normes, la vertu, le vice, ne sont plus balisés par la croyance. Le ciel platonicien des Idées, des valeurs transcendantes est vide de majuscules. L'homme est créateur de valeurs et c'est à lui que revient la responsabilité de les transcender ou non.

   
Autrui

Le regard d'autrui qui nous saisit comme objet devient tout à la fois angoissant et sauveur. Autrui nous classe et nous fait exister, nous accable ou nous accepte. Nous sommes livrés à l'autre, dont dépend notre réputation. L'homme sartrien est l'homme qui se sait libre dans l'angoisse car cette liberté lui confère une terrible responsabilité: ses actes l'engagent, aucun cadre social ou dogmatique ou relationnel ne le libère.
Ainsi, face à cette redoutable liberté, conscient de l'existence d'autrui, en situation, conscient des conditions matérielles de son existence et de son histoire, l'homme apparaît comme un être complexe et quasi tragique. Cette découverte  doit conduire, toujours selon la philosophie de Sartre à la recherche d'engagement et de valeurs  authentiques dans le monde des luttes sociales et politiques et, à présent écologiques pour assumer pleinement sa condition.


La conscience néantisante

                                           
La caractéristique de la conscience est son rôle "néantiseur". C''est à dire qu'elle rejette à l'arrière plan l'ensemble des choses et le monde extérieur devenu simple toile de fond, pour isoler un aspect privilégié de l'univers qui est attendu et recherché au préalable, comme un observateur qui isole le phénomène qui l'intéresse et ignore le reste. Les hommes politiques sont les spécialistes de cette centration.
La conscience choisit un aspect des choses et se différencie radicalement de ce qui n'est pas elle. "Elle est comme un trou au sein de l'être".
Voici un texte où est analysé ce rôle de la conscience dans la perception du monde, des objets et évidemment des idées.

Le narrateur doit retrouver un nommé Pierre dans un café.

"Il est certain que le café, par soi-même, avec ses consommateurs, ses tables, ses banquettes, ses glaces, sa lumière, son atmosphère enfumée, et les bruits de voix qui le remplissent, est un plein d'être. Et toujours les intuitions de détail que je puis avoir sont remplies par ces odeurs, ces sons, ces couleurs, tous ces phénomènes qui sont un être transphénoménal. Pareillement la présence de Pierre en un lieu que je ne connais pas est aussi plénitude d'être. Il semble que nous trouvions le plein partout. Mais il faut observer que dans la perception, il y a toujours constitution d'une forme sur un fond. Aucun objet, aucun groupe d'objets n'est spécialement désigné pour s'organiser en fond ou forme: tout dépend de la direction de mon attention. Lorsque j'entre dans ce café, pour y chercher Pierre, il se fait une organisation synthétique de tous les objets du café en fond sur quoi Pierre est donné comme devant paraître. Et cette organisation du café en fond est une première néantisation. Chaque élément de la pièce, personne, table, chaise, tente de s'isoler, de s'enlever sur le fond constitué par la totalité des autres objets et retombe dans l'indifférenciation de ce fond, il se dilue dans ce fond. Car le fond est ce qui n'est vu que par surcroît, ce qui est l'objet d'une attention purement marginale.Ainsi, cette néantisation première de toutes les formes qui paraissent et s'engloutissent dans la totale équivalence d'un fond est la condition nécessaire pour l'apparition de la forme principale qui est ici la personne de Pierre...Je suis témoin de l'évanouissement successif de tous les objets que je regarde, en particulier les visages, qui me retiennent un instant et qui se décomposent aussitôt précisément parce que ils ne sont pas le visage de Pierre. Si toutefois, je découvrais enfin Pierre, mon intuition serait remplie par un élément solide, je serais soudain fasciné par son visage et tout le café s'organiserait autour de lui, enn présence discrète.
                                                                                                               L'Etre et le néant, p 44





Mauvaise foi et engagement

Libre et conscient de la réalité de l'univers, qui est gratuité et qui ne fournit ni valeurs, ni significations, livré à lui même, sans Dieu, sans valeurs transcendantes, l'homme va tenter de vivre.
Sa conscience en quête de certitudes, en quête d'en soi, va l'amener à s'évader dans des attitudes de mauvaise foi. La mauvaise foi est partout,: notre corps en est complice, le regard se détourne, l'organisme sert d'échappatoire. Ainsi, on trahit son devoir sans y avoir consenti, on se réfugie dans la névrose pour ne pas avoir osé affronter les responsabilités de la situation.
La mauvaise foi est en jeu aussi lorsque nous voulons échapper à nous-même ou s'emprisonner ou emprisonner autrui dans les fictions sociales: les hiérarchies, les idées toutes faites, les droits prétendus, les cadres du langage, du rang, de la fonction, de la richesse, qui sont autant d'instruments de la mauvaise foi.
L'homme qui joue son rôle social, tel un comédien, y tente de s'y absorber. L'homme qui se croit des droits, en vertu de sa naissance, de sa profession, de sa race, de sa nature, fuit la réalité, qui est précisément contingence, facilité et projet. L'homme s'arroge des droits par mauvaise foi.
La fuite des responsabilités, dans l'appartenance à un parti, à une organisation à qui ont fait aveuglément confiance, entre les mains de qui on abdique, est mauvaise foi. Sartre n'est plus de ce monde, mais il aurait vraisemblablement constaté ce type de conduite dans l'acceptation des idées imposées: la mondialisation, le financiarisme, l'incitation délirante à la consommation tous azimuts, le divertissement généralisé.                      L'attitude opposée à ces conduites de mauvaise foi est l'engagement, l'action lucide et sans illusion, c'est à dire l'exercice de notre liberté, accompagné de la conscience de notre responsabilité, dans les cadres historiques, politiques, économiques et sociaux dans lesquels nos sommes placés.

" L'homme se fait; il n'est pas fait d'abord, il se fait en choisissant la morale, et la pression des circonstances est telle qu'il ne peut pas ne pas en choisir une. Nous ne définissons l'homme que par rapport à un engagement." L'existentialisme est un humanisme, p 67, Folio Essais.

Stéphane Hessel, l'homme des engagements exemplaires
                                                           
Stéphane  Hessel donne un exemple d'engagement que n'aurait pas renié Jean-Paul Sartre. Voici les cinq préceptes d'"Indignez-Vous":
      - Trouvez un motif d'indignation. Selon le héros de la Résistance, la pire des attitudes est l'indifférence, dire:"Je n'y peux rien, je me débrouille."
     - Oeuvrer pour changer de système économique. L'actuel dictature des marchés financiers menace la paix et la démocratie. L'auteur propose comme alternative "l'intérêt général", "le juste partage des richesses créées par le travail".
      - Mettre fin au conflit israélo-palestinien. Celui-ci pose au monde un problème d'ordre moral et se trouve en partie à la base de certains extrémismes.
        - Choisir la non-violence.
        - Endiguer le déclin de notre société.

                                                                                                                                                                   L'humanisme existentialiste

"Le culte de l'humanité aboutit à l'humanisme fermé sur soi d'Auguste Comte, et, il faut le dire, au fascisme. C'est un humanisme dont nous ne voulons pas.
Mais il y a un autre sens de l'humanisme, qui signifie au fond ceci: l'homme est constamment hors de lui-même, c'est en se projetant et en se perdant hors de lui qu'il fait exister l'homme et, d'autre part, c'est en poursuivant des buts transcendants qu'il peut exister; l'homme étant ce dépassement et ne saisissant les objets que par rapport à ce dépassement, est au coeur , au centre de ce dépassement. Il n'y a pas d'autre univers qu'un univers humain, l'univers de la subjectivité humaine. Cette liaison de la transcendance, comme constitutive de l'homme-non pas au sens où Dieu est transcendant, mais au sens de dépassement-, et de la subjectivité, au sens où l'homme n'est pas enfermé en lui-même mais présent dans un univers humain, c'est ce que nous appelons l'humanisme existentialiste. Humanisme, parce que nous rappelons à l'homme qu'il n'y a pas d'autre législateur que lui-même, et que c'est dans le délaissement qu'il décidera de lui-même; et parce que nous montrons que ça n'est pas en retournant vers lui, mais toujours en cherchant hors de lui un but qui est telle libération, telle réalisation particulière, que l'homme se réalisera précisément comme humain."                                                                                                                                                  p76, ibid

Jean-Paul Sartre et sa compagne Simone de Beauvoir
                             

                                                           

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