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jeudi 22 octobre 2009

La barbarie du sujet

La barbarie du sujet



"J'aurais péri infailliblement si, par la force de mes propres bras, je ne m'étais enlevé par mes propres cheveux, moi et mon cheval, que je serrais fortement entre mes genoux"

R.E. raspes, Les aventures du baron Münchhauser



Aux deux bouts de l'histoire, l'oracle de Delphes et l'oracle de Vienne, Socrate et Freud, délivrent un enseignement similaire: là où est le chaos l'ordre doit advenir. Le ça qu'on écrase nécessite d'être sublimé en moi qu'on élève, pour donner naissance à cet être double qui vit et qui meurt de la lutte entre les pulsions d'Eros et les convultions de Thanathos .

De l'âme et du monde comme unification dans la raison universelle à l'homme intérieur détenteur de la vérité.

Dans l'antiquité, on voit converger l'âme, l'homme intérieur la personne et la conscience. Ces instances tiraient leur essence et leur dignité d'une origine extérieure à l'homme, divine ou démonique (une transcendance en mal ou en bien). La source vitale était ressentie dans une excentration qui interdisait à l'homme de se reposer en soi. Ainsi chez Platon, l'âme attachée à une étoile et fixée dans le monde est formée des Formes Pures étrangères entre autre au corps qui la reçoit et à l'univers qu'elle habite. Lorsque l'âme se détache du monde, elle sombre dans le chaos de la matière et le bourbier de la barbarie.

Chez les premiers Chrétiens, la quête de soi s'ordonne naturellement autour de cette intuition équilibré d'une âme ouverte sur l'univers et habitée par la divinité.

Au VI siècle, le pluriel de délibération (d'énonciation dirait le prof de Lettres) de la Genèse sera interprété comme des partitions réelles entre les personnes divines: seront distingués le Père,le Fils et l'Esprit Saint. C'est la naissance de la notion de personne qui ouvre l'espace à une nouvelle anthropologie qui insiste sur l'individuation et affaiblira le lien initial avec Dieu. La personne sera définie par Boèce comme" naturae rationnalis individua substancia"- une substance individuelle de nature rationnelle-.

La notion de conscience que Cicéron assimilait àla raison universelle interviendra plus tard, dans le monde chrétien pour témoigner de la parole de Dieu en l' homme. Le centre de gravité chrétien ne se trouve plus dans la Loi ancienne où sont restés les Juifs( extérieure à l'homme) mais dans la seule personne du Christ : " Vous tous, en effet, qui avez été baptisé en Christ, c'est le Christ que vous avez revêtu". ( Saint Paul).

L'esprit de Dieu en tant que règle morale universelle est fixé dans la conscience et la conscience dans l'intériorité, tout en sauvegardant l'extériorité de la source. C'est ce qui attache l'âme individuelle à l'âme du monde et avec les autres âmes : se trouve là les prémices de la raison kantienne qui place l'homme au centre de l'Univers. L'âme va sombrer dans "l'idion" et devenir une individualité livrée à son abandon. Ce mouvement de retrait de l'âme détachée du monde et de Dieu peut être interprété comme un processus d'intériorisation de la barbarie. Le barbare ne sera plus de l'autre côté du limes contenu par les frontières de la raison ou celles de la civilisation : il sera désormais à l'intérieur de soi. L'homme moderne va découvrir en lui cette fissure de l'âme, d'un côté un homme voué à l'universel (tel que le pensera l'humaniste de la Renaissance et de l'autre, un sujet replié sur le particulier, tel que le rêvera l'individualiste des Modernes. Cette fissure entre l'homme universel et le sujet va s'élargir pour devenir une fracture, bientôt un gouffre qui séparera l'homme de lui même.

Dès lors que le sujet tire son identité du seul entendement et que ce faisant il entre dans un processus de dissociation, dissociation de l'homme et de Dieu, de l'homme et du Monde, il contraint son identité à se soumettre à cette même dissociation. Celle-ci ( l'identité) met d'un côté sa dimension substancielle (sa nature profonde exprimée par l'universalité de l'homme, l'âme ou personne et de l'autre sa dimension formelle, c'est à dire le mode de fonctionnement du sujet défini par ses procédures internes, le labyrinthe). Le sujet moderne est fait de ses procédures de réflexion qui ne le renvoient jamais ou trop rarement à un contenu extérieur.

" Le passage de la substance à la procédure, d'un ordre qu'on trouve à un ordre que l'on construit, représente une immense intériorisation par rapport à la tradition morale platonico-aristotélitienne" . Taylor, Les sources du moi.

" L'autoproduction du sujet moderne, c'est l'autoproduction des règles virtuelles qui ne dépendent plus, à l'extérieur, d'une réalité universelle, mais d'un enchaînement de procédures formelles privées de finalité et de signification".

D'après JF Matthei, La Barbarie Intérieure.



L'homme contemporain

L'homme contemporain ne se conçoit plus comme un être subtanciel relevant d'une essence spirituelle, ce qui impliquerait la notion d'âme, mais comme un sujet procédural. La procédure se substitue désormais à la fin et le formalisme des opérations à la vérité de leur contenu. "L'intériorité du sujet évoque plutôt des enfilades de couloirs, de corridors, de bifurcations définies par des règles qui, suivies de façon correcte, ne conduisent l'homme qu'à son propre labyrinthe." JF M.

Le sujet contemporain fonctionne non pas avec un supplément mais un moignon d'âme. La plupart des hommes contemporains sont des barbares complaisants, nomades de leur propre désert.



Composition du sable mou de l'humanité
- la stratégie du vide,
- l'atomisation,
- l'apathie frivole,
- la désubstancialisation,
- la liquéfaction,
- la dissolution,
- la subjectivité totale sans but ni sens,
- le degré zéro du social,
- le repli douillet dans le ghetto intime,
- le narcissisme dans des relations humaines barbares et conflictuelles,
- la déchéance de l'inter subjectivité,
- le sentiment du vide intérieur,
- la culture individualiste et jusqu'au boutiste,
- un fond suicidaire,
- l'éclatement de la personnalité,
- la programmation disparate du moi,
- l'éradication des modèles transcendants,
- les violences sauvages,
- l'effet hard corrélatif de l'ordre cool,
- les tendances à l'autodestruction.

L'homme antique fondait la qualité de son âme sur le monde et ses néccesités ou un au- delà du monde platonicien, le Bien et ses déclinaisons. L'homme moderne fonde son moi sur lui-même : Me, myself, and I.

Ainsi : "Le subjectivisme extrême de l'homme moderne se manifeste par une double fuite ou une double retraite à l'égard du réel: la fuite de la terre pour l'univers et la fuite du monde vers le moi, avec le repli de la pensée réduite à un simple processus sur une conscience de soi totalement vide" Hannah Arendt


Le sujet moderne est un sujet dilaté, un sujet infini, refermé sur la clôture de son prope soi comme le dit Nietzche.

A ce niveau pour attrister un peu plus l'éventuel lecteur (ce début de blog est sélectif, ou ça passe ou ça casse, après le reste sera plus joyeux, plus porteur d'espoir), je ne résiste pas de citer les dernières lignes de la superbe métaphore filée d'Henri Laborit que l'on trouve à la fin de son essai, L'éloge de la fuite, 1976.

" Les hiérarchies occupèrent l'espace humain. Elles distribuèrent les objets et les êtres, le travail et la souffrance, la prospérité et le pouvoir. Les plumes bariolées des oiseaux de mes rêves remplissaient l'espace au hasard comme le nuage qui s'échappe de l'oreiller que l'on crève avec un couteau. Au lieu de conserver la majestueuse ordonnance de la gorge qui les avait vu naître, elles s'éparpillaient rendant l'air irrespirable, la terre inhabitable... les espèces dispararurent et l'homme se trouva seul au monde.

Il se dressa orgueilleusement, face au soleil, trônant sur ses déchets et ses oiseaux morts. Mais il eut beau tendre ses bras et refermer ses doigts sur les rayons impalpables, nul miel n'en coula.

Et du haut du clocher de ma cathédrale je le vis s'étendre et mourir. Le nuage de plumes, lentement s'afaissa sur la terre.

A quelques pas de là, perçant le tapis bariolé dont il l'avait recouverte, on vit lentement poindre une tige qui s'orna bientôt d'une fleur.

Mais il n'y avait personne pour la sentir."




1 commentaire:

  1. Je pense que l'individualisme de l'homme d'aujourd'hui, vient en grande partie de l'éducation qu'il reçoit. Celle de ses parents, mais également celle de l'école.
    Avant les religions régulaient le comportement de l'homme, aujoud'hui celles-ci semblent déregler ses agissement. Il faudrait maintenant se baser sur les valeurs, telle que le bien, le respect, l'humilité, la solidarité, le respect de l'homme et de la nature, la préservation de la nature, l'économie durable... Hélas on en est encore loin.

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