Nietzsche et Onfray
Nietzsche
Le problème qui occupe Nietzsche est celui de la culture moderne.Une culture s'établit sur la croyance à des valeurs or, les valeurs de l'homme moderne sont, à l'époque de Nietzsche, et encore aujourd'hui sous des aspects divers, le christianisme, le pessimisme, le rationalisme, la morale du devoir, la démocratie, le socialisme (le libéralisme où le socialisme se meut avec aisance, comme on le voit actuellement). Pour Nietzsche, ces valeurs sont les symptômes d'une décadence, d'une vie en voie de disparition et il est nécessaire d'opérer une transmutation des valeurs en plaçant au premier plan la volonté de puissance, c'est à dire l'affirmation de la vie, dans son épanouissement et sa plénitude.
et la volonté de puissance
Nietzsche oppose la volonté de puissance à la définition de la vie donnée par ceux qu'il nomme "les psychologues anglais", parmi lesquels il faut ranger Spencer et, aussi l'interprétation pessimiste du vouloir-vivre de Schopenhauer, lequel fait de la volonté une "poussée aveugle et irrésistible" (Le monde comme volonté et représentation). Le vouloir-vivre renvoie pour ce philosophe à un principe universel consistant dans la force instinctive mise par un être en vue de sa réalisation , dans la lutte contre ses semblables. Il s'agit d'un pessimisme: le vouloir-vivre est aveugle et impuissant qui conduit l'être spirituel, à un renoncement de type "bouddhiste".
En effet, le vouloir-vivre engendre toujours de nouveaux besoins et par conséquent de nouvelles douleurs et l'expérience et ainsi faite , d'espoirs et de vanités, d'efforts et d'échecs.
qui s'oppose à la douleur et l'ennui schopenhauerien:
Schopenhauer est résolument pessimiste, il remarque que lorsque l'homme pense avoir satisfait tous ses désirs, l'ennui s'installe, ce mal redoutable, aussi redoutable que la souffrance. C'est d'ailleurs cet ennui qui serait à la source de la sociabilité: "C'est l'ennui qui fait que des êtres qui s'aiment aussi peu que les hommes, se recherchent pourtant, et là est la cause de la sociabilité" dit-il. Aucun progrès n'est à espérer de l'humanité, les mêmes maux, la maladie, le crime, la guerre, renaissent sans cesse. Quant au plaisir, il n'est qu'un instant fugitif pendant lequel la douleur continuelle cesse.
La tentation de céder au pessimisme schopenhauerien est grande, c'est une voie facile, d'autant plus que ce philosophe prévoit deux remèdes pour échapper à la douleur et à la fugacité du plaisir. Le premier est l'art qui par son aspect contemplatif nous délivre de la souffrance engendrée par l'action. Le second est la morale de la pitié conduisant à la négation du vouloir vivre et donc à l'abolition de la souffrance. Cette perception négative de l'existence, "La vie oscille de droite et de gauche comme un pendule, de la souffrance à l'ennui", conduira l'auteur de ces mots à faire l'apologie de la solitude
enfin, être seul et fier de l'être,
"On ne peut être vraiment soi qu'aussi longtemps qu'on est seul: qui n'aime pas la solitude n'aime pas la liberté, car on est libre qu'étant seul. Toute société a pour compagne inséparable la contrainte et, réclame des sacrifices qui coûtent d'autant plus que la propre individualité est plus marquante. Par conséquent, chacun fuira, supportera ou chérira la solitude en proportion exacte de la valeur de son propre moi...
Ce qui dégoute de la société les grands esprits, c'est l'égalité des facultés et des productions (sociales) des autres. La soi-disant bonne société apprécie les mérites de toute espèce, sauf les mérites intellectuels; ceux-ci y sont même de contrebande. Elle impose de témoigner une patience sans bornes pour toute sottise, toute folie, toute absurdité, pour toute stupidité; les mérites personnels, au contraire, sont tenus de mendier leur pardon ou de se cacher, car la supériorité intellectuelle, sans aucun concours de la volonté, blesse par sa seule existence.
Donc cette prétendue bonne société n'a pas seulement l'inconvénient de nous mettre en contact avec des gens que nous ne pouvons ni approuver ni aimer, mais encore elle nous permet pas d'être nous-même, d'être tel qu'il convient à notre nature; elle nous oblige plutôt, afin de nous mettre au diapason des autres, à nous ratatiner pour ainsi dire, voire à nous défigurer nous-même."
Schopenhauer, Aphorismes sur la sagesse dans la vie,
heureusement Nietzsche est arrivé,
Pour Nietzsche, la lutte, expression de la rivalité et de la hiérarchisation des instincts, est l'expression même de la vie, dans laquelle la volonté de puissance apparaît comme une force créatrice affrontant la matière brute pour lui donner forme, pour la féconder. La volonté de puissance se situe donc au carrefour de la compétition et de la création, en acte. Dans ce rapport de forces, compétition et création, la supériorité et la domination ne s'expriment pas comme pouvoir ou négation mais comme puissance de créativité, c'est à dire affirmation pure: "La volonté de puissance n'est pas la force, mais l'élément différentiel qui détermine à la fois le rapport des forces (quantité) et la qualité respective des forces en rapport. C'est dans cet élément de la différence que l'affirmation de la différence se manifeste et se développe en tant que créatrice. La volonté de puissance est le principe de l'affirmation multiple, le principe donateur ou la vertu qui donne", Gille deleuze, Nietzsche et la philosophie. La conquête et la création sont donc un rapport à la vie, c'est un acte qui permet de se surmonter soi-même et dont la qualité va dépendre de l'orientation donnée.
Nietzsche fait la différence entre une volonté de puissance négative et affirmative. Ce n'est pas la distinction entre la faiblesse et la force mais les qualités de la relation entre la vie et l'action, selon que la volonté suive une ligne descendante ou ascendante: il existe une volonté de néant (nihilisme) et une volonté de vivre.
et Nietzsche réagit
Chez Nietzsche le couple action-réaction est un élément essentiel de la théorie de la volonté de puissance. Action et réaction sont les moyens de mise en oeuvre de la volonté de puissance. Le jeu des forces actives est inconscient, il échappe totalement ou presque totalement à la raison et à l'analyse. Ces dernières ne peuvent atteindre que les résultats des forces réactives et de forces actives par lesquelles elles sont dominées. La conscience est essentiellement réactive et le devenir de toutes les forces est un devenir réactif. Dans ce devenir les forces actives sont coupées de leur propre puissance et livrées à une volonté de néant qui s'exprimera dans les figures de la réaction: le ressentiment, la mauvaise conscience, l'idéal ascétique. Le nihilisme permettra la transmutation ou la transvaluation de toutes les valeurs: conversion du négatif dans l'affirmatif, de la réaction dans l'action.
Nietzsche pense la ruine des valeurs sur lesquelles la civilisation occidentale s'est construite: le monde transcendant des valeurs n'est en fait que l'envers sublimé des propres besoins psychologiques de l'homme. Le nihilisme nietzschéen est à la fois auto-destruction de toutes les valeurs morales et religieuses et création de nouvelles valeurs mises au service de la vie.
Michel Onfray en voyage nietzschéen,
"Pour brûler comme la salamandre dans un brasier qui consume et qu'on attise de ses sucs, j'avais rejoint Rapallo, dans le Golfe de Gênes, sur la côte ligure, afin d'y retrouver l'ombre et le souffle de Zarathoustra, fils de Portofino et de Sils Maria." La Sculpture de soi, Editions Grasset, 1993.
Ainsi le philosophe de l'Université Populaire (après avoir démissionné de L'Education Nationale pour cause de sensation d'étouffement, de dyspnée, je suppose) retrouve les lieux de villégiature et de travail de Nietzsche: "Sur la route qui longe la baie de Santa Margherita jusqu'à Portofino, Nietzsche arpentait les lumières transparentes...Bientôt, il accouchera de Zarathoustra, une parturition appelée à d'effroyables échos, à d'incroyables méprises."(ibidem)
En effet, l'oeuvre de Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, publiée en 1883, qui est un poème philosophique dans laquelle un prophète nommé Zarathoustra (celui qui a de vieux chameaux) se livre à un discours en direction des hommes pour leur livrer sa pensée, a été soumise à des interprétations erronées nazi ou fasciste, le surhomme dont il est question étant assimilé à tort au représentant de la race aryenne, ce qui jeta et qui jette encore un effroyable soupçon sur le philosophe, d'autant plus que sa complexité et son langage souvent métaphorique, polémique et enflammé laisse une place à des immixtions diverses et variées. Aujourd'hui, elle fait frisonner les tenants du politiquement correct qui tordent leurs nez creux devant cette brise salutaire de liberté qui nous vient de celui qui philosophait à coups de marteau, selon cette vieille formule qu'il fallait placer dans ce paragraphe.
Zarathoustra clame que Dieu est mort et qu'il revient aux hommes, cette soit-disant finalité transcendante ayant disparu, de fixer eux-mêmes leur destin en assurant leur propre dépassement sur cette Terre. Cette notion de dépassement donne naissance à celle de "surhomme" qui va occuper la place libre désormais de l'ordre ancien, une créature pitoyable et très faible l'homme, une entité très forte et omnipotente, Dieu. Dans cette vieille dichotomie les pulsions de l'homme et sa partie animale ont été éduquées afin d'accéder à une consolation supra-terrestre imaginaire et ainsi le christianisme mais aussi l'idéalisme antique et moderne ont façonné le type humain (pour le grand bonheur des pouvoirs divers qui ont vu là une opportunité parfaite de vivre un brin de Paradis ici-bas, pendant que le reste de l'humanité pliait le genoux dans les églises et autres pagodes et levait le nez au ciel en direction des Idées et cela continue.
Pour Nietzsche, le préfixe "sur" désigne cette transfiguration: un homme nouveau sort de l'élevage, surhomme par rapport à l'animal et surhomme par rapport à une métaphysique hypocrite et mensongère.
Come on Zarathoustra!
"Lorsque Zarathoustra arriva à la ville voisine qui se trouvait le plus près des bois, il vit une grande foule assemblée sur la place publique: car on avait annoncé qu'un danseur de corde allait se montrer. Et Zarathoustra parla au peuple et lui dit:
Je vous enseigne le Surhumain. L'homme est quelque chose qui doit être surmonté. Qu'avez-vous fait pour le surmonter?
Tous les êtres jusqu'à présent ont créé quelque chose au-dessus d'eux, et voulez-vous être le reflux de ce grand flot et plutôt retourner à la bête que de surmonter l'homme?
Qu'est le singe pour l'homme? Une dérision ou une honte douloureuse. Et c'est ce que doit être l'homme pour le Surhumain: une dérision ou une honte douloureuse.
Vous avez tracé le chemin qui va du ver jusqu'à l'homme et il vous est resté beaucoup du ver de terre. Autrefois vous étiez singe, et maintenant l'homme est plus singe qu'un singe.
Mais le plus sage d'entre vous n'est lui-même qu'une chose disparate fait d'une plante et d'un fantôme. Cependant vous ai-je dit de devenir plante ou fantôme?
Voici, je vous enseigne le Surhumain!
Le Surhumain est le sens de la terre.
Je vous en conjure, mes frères, restez fidèles à la terre et ne croyez pas ceux qui vous parlent d'espoirs supraterrestres! Ce sont des empoisonneurs, qu'ils le sachent ou nom.
Ce sont des contempteurs de la vie, des moribonds et des empoisonnés eux-mêmes.
Autrefois, le blasphème envers Dieu était le plus grand blasphème, mais Dieu est mort et avec lui sont morts les blasphémateurs. Ce qu'il y a de plus terrible maintenant, c'est de blasphémer la terre et d'estimer les entrailles de l'impénétrable plus que le sens de la terre. (...)
Puis il dit:
L'homme est une corde tendue entre la bête et le Surhumain, une corde sur l'abîme.
Il est dangereux de passer de l'autre côté, dangereux de rester en route, dangereux de regarder en arrière- frisson et arrêt dangereux.
Ce qu'il y a de grand dans l'homme, c'est qu'il est un pont et non un but: ce que l'on peut aimer en l'homme, c'est qu'il est un passage et un déclin.
J'aime ceux qui ne savent vivre autrement que pour disparaître, car ils passent au-delà.
J'aime les grands contempteurs, parce qu'ils sont de grands orateurs, les flèches du désir vers l'autre rive.
J''aime ceux qui ne cherchent pas derrière les étoiles, une raison pour périr ou pour s'offrir en sacrifice; mais ceux qui se sacrifient à la terre...
Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra,1883.
à suivre...
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