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samedi 27 août 2011

La vie en miettes, Zigmunt Bauman, la problématique du corps

Le corps postmoderne

Le corps moderne, producteur de biens ou soldat, selon l'individu auquel il appartenait, était soumis à une discipline outrancière, selon les mots de Bauman. Cela valait pour certains domaines, les usines, les mines, la manutention, l'agriculture et l'armée évidemment, où le corps, modèle chair à canon, devait marcher ou mourir. Le corps devait être apte aux exigences de l'époque. La force physique, la résistance, la rusticité, étaient nécessaires dans bien des domaines. A ce sujet, il faut noter que l'éducation physique et sportive dispensée durant la scolarité, allait de pair avec ces besoins: courir, sauter, grimper (la corde)...se muscler, s'assouplir était en gros le programme dispensé, alors qu'à présent, cet enseignement s'est transformé en une série d'activités ludiques; il n'est plus question des longues séances d'apprentissage des diverses techniques de saut, de grimper ou de travail de musculation ou d'assouplissements pendant lesquelles les élèves étaient impeccablement rangés en carré, sur le plateau.
Le corps moderne devait être apte à répondre aux exigences de l'époque. Cette aptitude, cette capacité était appelée la santé; la maladie représentant l'absence de capacité, du corps, en règle générale.

                                                            
"Le corps postmoderne est un récepteur de sensations, il absorbe et digère des expériences; sa capacité à être stimulé en fait un instrument de plaisir. Cette capacité s'appelle la forme." ibid, p. 79.
L'inaptitude se situe du côté de "la langueur, l'apathie, le manque d'énergie, une réponse nonchalante aux stimuli; une capacité et un intérêt décroissants ou seulement au-dessous de la moyenne pour les sensations et expériences nouvelles." ibid, 79. Les mots définissent ce qu'on appelle communément la dépression et que Bauman appelle assez joliment "un désordre de la consommation".
Le corps en forme est un instrument de plaisir sur tous les plans, sexuels, gastronomiques, sportifs, vestimentaires, "vacanciers" ou, simplement visuels. Les sensations sont "profondes, délicates, plaisantes, palpitantes, ravissantes, enchanteresses...". Les mots quotidiens de la pub qui modélisent le corps postmoderne cueilleur de sensations .... à suivre

                                                      
     
Some music from the green Ireland. Nice.

                                                                                                  

vendredi 19 août 2011

La société en miettes ,le point de vue d'Edgar Morin



La période postmoderne a favorisé, à partir de la progression de l'individualisme, la possibilité d'examen personnel, de réflexions, de prises de décisions autonomes et multiplié les relations affectives d'amitié et d'amour entre les personnes. Il y aurait donc un aspect positif relatif à l'époque présente et, c'est en partie vrai:, les contacts sont facilités, les relations améliorées du fait des lieux de rencontre qui se multiplient, la technologie qui intervient avec le développement des réseaux sociaux.  Ces réseaux qui sont en partie, en grande partie même, à l'origine des révolutions arabes, et c'est une excellente chose (que les écrans contribuent à faire tomber les tyrans).
Ces aspects positifs, ceux de l'autonomie de l'individu et du développement des relations humaines sont énoncés par Edgar Morin, dans son ouvrage, La méthode, T. 6, Ethique, Editions du Seuil, 2004. En revanche, le philosophe signale aussi que "l'autojustification" et la self-deception, le sentiment d'insuffisance postmoderne de Bauman, viennent s'immiscer dans les relations avec autrui. Ce qui a été abordé dans un des articles précédents, en ce qui concerne l'autojustification qui vient parasiter les échanges.

L'auteur dit à ce sujet: "Chacun tend à se donner raison, beaucoup se donne toujours raison. L'incompréhension produit des cercles vicieux contagieux: l'incompréhension à l'égard d'autrui suscite l'incompréhension de cet autrui à son propre égard." ibid p. 137.

Si Bauman, en ce qui concerne ce problème particulier ( l'incertitude, l'insuffisance et leurs conséquences), adopte un point de vue macroscopique (celui du sociologue), Morin considère dans un premier temps du moins, les changements au niveau de la cellule de base de la société, la famille. Il dit ceci:
"Il y a encore deux générations, l'individu devait obéir aux normes de la coutume, ainsi qu'aux injonctions de l"autorité familiale: le fils obéissait au père, le lien matrimonial était sacré. La distension de ces liens, ainsi que la désacralisation de l'autorité du père, le primat de la volonté d'autonomie ont donné des libertés, mais aussi des incompréhensions." ibid, p. 138.
Le couple subit à présent de rapides "dépérissements d'amour", provoquant l'incompréhension, la famille devenant le "bouillon de culture des incompréhensions réciproques". Cette sorte de ciment naturel fait de l'autorité du père, de la bienveillance de la mère, de buts éducatifs clairs, s'insérer dans la société de producteurs de biens ou de soldats (Bauman), ayant disparu, le sens de la famille a disparu, en partie; restent les volontés et les désirs individuels qui débouchent sur le conflit.
Edgar Morin considère que cette incompréhension, basique, produit l"a volonté de nuire," laquelle produit encore de l'incompréhension. Un cercle vicieux s'installe. A propos de cette volonté de nuire, largement distribuée dans le monde postmoderne, le phénomène du harcèlement, que Marie France Hirigoyen  (Malaise dans le travail, le harcèlement moral, Paris, 2001) cantonnait au monde du travail - ce phénomène, n'est-il pas devenu, à présent, général, national, international ?

Je me permets un développement plus personnel, au sujet du harcèlement à l'école. Celle-ci est devenue un haut lieu du harcèlement, un lieu privilégié de son apprentissage même: Les élèves harcèlent les professeurs et ceci très fréquemment.Les polémiques sur les décisions, le travail, la personnalité de l'enseignant sont monnaie- courante. Parfois, les parents, l'administration s'en mêlent et on assiste alors au "lynchage scolaire" cause de départs prématurés, en maladie ou en retraite.Les élèves se harcèlent entre eux. L'administration n'hésite pas à harceler l'enseignant qui aurait de vrais idées de travail et de discipline et qui les exposerait.

 Pour revenir à l'incompréhension, qui n'épargne pas l'école, et chacun le sait, Edgar Morin élargit son propos : "Les incompréhensions se déchaînent en période de guerre civile, guerre religieuse, guerre entre nations. La peur est source de haine, qui est source d'incompréhension, qui est encore source de peur, en cercle vicieux s'auto-amplifiant. Un véritable délire d'aveuglement culpabilisant et diabolisant saisit des populations  entières.
Finalement, notre cosmos humain est parsemé d'énormes trous noirs, d'incompréhension d'où naissent indifférences, indignations, dégoûts, haines, mépris." ibid p. 139.
Ce n'est pas facile d'écrire des choses pareilles. Les remèdes existent et il faut signaler que Bauman et Morin ne s'enlisent pas dans le pessimisme le plus noir, c'est le cas du scripteur aussi. Mais, il ne faut pas se voiler la face: le diagnostic est sombre, les urgences sont nécessaires.



                                                    
                                                Cela ne veut pas que je mette une légende correctement.(constant sorrow)


Pour aller plus loin...

Le lien ci dessous concerne les Assises sur le harcèlement à l' Ecole qui se sont tenues à Paris, le 2 et 3 mai 2011. Elles ont été l'occasion pour le Ministre , Luc Chatel, de réunir les experts français et internationaux, issus de la communauté scientifique et du monde éducatif, autour du problème du harcèlement scolaire.
Personnellement, je pense que c'est une bonne chose, mais cela a dû être coûteux, alors que le simple courage d'agir, de réagir, dans les établissements scolaires, est lui gratuit. Le courage des Chefs d' Etablissement  qui fait fréquemment défaut, qui par contre font preuve de la plus grande fermeté lorsqu'il s'agit  de s'en prendre à un professeur qui, comme je l'ai dit plus loin, oserait dénoncer l'indiscipline généralisée qui touche de très nombreux établissements.


                                                            







lundi 15 août 2011

Some music

Pelot D'hennebont, Tri Yann

                                                         

La jument de Michao, Nolwenn Leroy

                                          
                                          







Zigmunt Bauman, La vie en miettes, les peurs postmodernes, 3 ème partie



La peur affrontée sans intermédiaire

"A l'image de ces usines de la certitude (lieux de surveillance, d'exercice, de discipline, de dispersion de la peur), l'industrie et l'armée ont bel et bien fait leur temps. On ne s'étonnera donc pas de ne plus parler de la "mission morale" des employeurs, thème si récurrent de la conscience de soi du XIX ème siècle." ibid, p. 73.
La maintenance et la reproduction de la société sont l'affaire d'autres moyens qui ne sont plus collectivisés mais privatisés. A noter que, en ce qui concerne "la mission morale", l'école se borne à conduire ou proposer des études, l'individu s'y comportant à sa guise ou presque, l'enseignant tentant d'assurer sa survie, au sein d'un métier dévalorisé et où la notion de vocation prête à sourire.
C'est à l'individu désormais, placé qu'il est dans un chaos de procédures "dés-institutionnalisées" que revient d'accomplir les efforts de formation personnelle. La sous-détermination, l'opacité, l'incertitude de l'être n'étant plus soulagées par les nécessités scolaires, professionnelles, militaires, sociologiques ou religieuses: l'individu est sans filet, sans longe de sécurité et il affronte la peur "dans sa sévérité la plus pure": "son énorme pression s'abat tout entière sur l'individu, presque sans intermédiaire et, c'est à l'action individuelle qu'il revient de la repousser ou de la neutraliser."ibid, p. 74.

La peur de l'insuffisance

"La peur de la sous-détermination déchaîne,chez l'individu, une frénésie d'affirmation de soi et de mise en configuration personnelle". Cela est symptomatique et se ressent très souvent dans la vie relationnelle, au cours des discussions pendant lesquelles, nombreux sont les interlocuteurs qui exposent leurs différentes stratégies mises en place, aussi nombreuses que variées, tout en cherchant à se conforter sur leur bien-fondé, à l'aune d'une oreille extérieure. Le citoyen postmoderne et il est possible que cette expression soit à placer au registre des archaïsmes, est mis en demeure de vaincre l'incertitude par ses propres moyens à l'aide d'une infinité de recettes, "dans le but de faits maisons" auquel l'auteur oppose "la pénurie de parce que ". Cela entraîne une souffrance qui naît du sentiment d'insuffisance; la déviance devient la punition de l'échec individuel.Ce n'est plus "l'ancienne insuffisance" mesurée par des critères nets et solides mais l'insuffisance postmoderne mal définie et plus ou moins visqueuse faite de l'échec à acquérir une forme souhaitée, de la difficulté à rester en mouvement, mais aussi "à s'arrêter à l'endroit désiré", de la perte de la flexibilité et de l'incapacité "à endosser des formes à volonté, à être dans le même temps une argile malléable et un sculpteur accompli."ibid p.75.

  
Texte complémentaire

L'école et la société, Jean-François Mattéi, La barbarie intérieure, PUF, 1999.

"Ce ne sont pas les enfants qui ne savent plus pourquoi ils vont à l'école; ce sont les adultes qui ne pensent plus pourquoi leurs enfants doivent aller à l'école... On ne sait plus pourquoi on enseigne, ce qu'on doit enseigner, ce qu'il faut être pour enseigner. Ni du côté des responsables politiques, ni du côté des enseignants, ni du côté des parents d'élèves, on ne se trouve plus en mesure de dépasser les incertitudes et d'affronter le problème fondamental: quelles fins doivent être assignées à l'enseignement à notre époque?"

L'école est devenue "une société éphémère, débarrassée des intérêts pédagogiques. Dès le moment où la société n'a plus souci que d'elle-même, en limitant l'homme à sa vie sociale, elle se trouve dans l'impossibilité de trouver de l'intérêt à ce qui ne relève pas du social, à savoir l'enseignement et la pensée, dont le lieu naturel est l'école. Le social, en tant que social, n'a aucun temps à se consacrer à la pensée, car il vit au jour le jour, non pour penser mais pour produire de la socialité. L'école en tant qu'école, n'a aucun temps à consacrer à la socialité, car l'école ne vit pas au jour le jour pour produire de la socialité, mais pour penser l'humanité." 

                 
          à suivre