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jeudi 29 octobre 2009

La pensée calculante( suite)

 S'il faut bien considérer les aspects négatifs de la technique, il semble que sans celle-ci, il n'y ait pas d' humanité. La technique est fondatrice de l'humanité au même titre que la parole ou la vie en société.
"Il n'est pas de nature de l'homme qu'on pourrait opposer à la technique.Non seulement, l'homme est essentiellement technicien, mais il est lui-même le produit de sa propre artificialisation ou technisation. L'aptitude de l'homme à manipuler son environnement en a fait inextricablement un producteur de paroles et d'outils"
                                                         D. Bourg, L'homme artifice. le sens de la technique, 1996


 L'homme se caractérise par un projet de faire: en amont, il y a ce qui répond à l'angoisse devant l'infaisable; en aval, le désir de faire jusqu'à ses propres limites. Une impulsion qui pousse à " trans- faire". En psychanalyse le transfert est le mécanisme qui fait le non-dit de l'un et de l'autre. De la même façon,les techniques instaurent un espace où les fantasmes  des uns et des autres peuvent se dire, se transférer. Par la technique, il y a une tentative de produire un faire pour atteindre un au-delà qui échappe.
 Les bouleversements de la technique peuvent mettre en cause le principe du droit au travail.(un certain nombre de sociétés transnationales brassent un quart des bénéfices mondiaux sans pour cela créer de emplois en proportion- fait dénoncé par les alter- mondialistes au sommet de l'OMC à Seattle).Cela est formulé aussi par le sociologue américain Jérémy Rifking, La fin du travail, 1997.
"Depuis la dépression des années trente, jamais le chômage n'a été aussi élevé. Les technologies de l'information envahissent la distibution,les banques, les tranports, l'agriculture, ou l'administation après avoir submergé l'industrie. Beaucoup de postes d'ouvriers, secrétaires, réceptionnistes,vendeurs, grossistes ou petits cadres sont condamnés.Quant aux jobs créés,ils sont surtout temporaires et souvent mal payés."


 Une société duale s'installe: une élite contrôlant une économie de plus en plus internationnalisée, de l'autre, un nombre croissant de salariés dont les emplois sont en danger permanent de délocalisation et sont souvent dénués de sens dans un univers automatisé.


 "Le travail n'est plus au fondement de notre société. Il n'est plus qu'un souci annexe de rentabilité des capitaux. A bien des égards celui qui travaille est même devenu une gêne, un grain de sable dans la machine à produire du profit."


                                                 Viviane Forrester, L'horreur économique,1996.

la pensée calculante

La pensée calculante

la technologie triomphante

 La technique moderne se qualifie par son caractère d'injonction,en tant qu'elle est assignation, arraisonnement.
"Ce qui régit la technique moderne est une provocation par laquelle la nature est mise en demeure de livrer une énergie qui puisse comme telle être extaite  et accumulée. L'écorse terrestre se dévoile comme bassin houiller, le sol comme entrepôt de minerais. Tout autre apparaît le champ que cultivait le paysan autrefois, alors que cultiver signifiait encore entourer de haies et de soins.
 La centrale électrique n'est plus construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois...C'est bien plutôt le fleuve qui est muré dans la centrale.Ce qu'il est aujourd'hui comme fleuve à savoir fournisseur de pression hydraulique, il l'est par l'essence de la centrale. Mais le Rhin répondra-t-on demeure comme fleuve du paysage.Soit comment le demeure-t-il? Pas autrement que comme un objet pour lequel on passe une commande." 
                                                              Martin Heidegger, La question de la technique.


Martin Heidegger

 En considérant la nature comme "fonds", la mise en demeure technique tranforme tout ( la nature, la terre tout entière, ses sous-sol, ses forêts, son eau, son air...) en complexe calculable de forces. Cette planification calculatrice qui tend à devenir lieu de pensée met en péril l'être de l'homme; l'essence de la technique se dévellopant pour elle-même dans une sorte de volonté de volonté, un processus d'auto-engendrement infini ( la fameuse croissance- une croissance infinie dans un monde fini ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes...).
 Cette prédominance de la pensée calculante sur la pensée méditante n'est pas responsable du désarroi culturel des temps modernes? Ce qui est à déplorer est le rejet du savoir de la vie et l' hyperdévellopement du savoir scientifique et technique.

 Tout progès technique se paie en humanité, en destuction de la nature:

-le progrès technique soulève des problèmes plus nombreux et plus vastes qu'il n'en résoud (épuisement des ressources, destruction du paysage humain, gaspillage des sols, des eaux...lutter contre le réchauffement est bien plus diffiçile que de faire voler un avion.).
-les effets néfastes des progrès techniques sont inséparables des effets favorables; les procédés deviennent plus fins, toute erreur devient considérable et peut-être catastrophique;
-tout progrés technique comporte un nombre d'effets imprévisibles: incertitudes sur le danger des centales atomiques, le génie génétique, les nanotechnologies, l'informatique.

mercredi 28 octobre 2009

La loi de la concurrence déteint sur la société

Par Jean Matouk, Economiste. Libération du 26/10/2009.


Le leitmotiv de la pensée économique en place est l’ouverture à la libre concurrence. L’actualité récente a rouvert le débat du fonctionnement de l’économie dont le fondement se trouve dans la conception de la société.
Pour les un (Reagan et Thatcher par exemple) la société n’existe pas : il y a une juxtaposition d’individus et le gouvernement doit se borner à mettre en place un système de concurrence, généraliser le marché. C’est l’état et ses impôts qui sont devenus les problèmes. Nous sommes en plein dans cette vague idéologique. D’autres considèrent la société comme une réalité où se joint l’ensemble des rapports, sociaux, culturels, idéologiques, économiques, familiaux.
Force est de constater que les rapports économiques (surtout marchands) sont en train de « phagocyter » tous les autres et que s’installe une rivalité généralisée. Dans ce « tout marché » qui domine l’idéologie moderne, la reconnaissance de l’un par l’autre passe de plus en plus par la voie marchande : le salaire, l’honoraire, le profit affiché (mais aussi par les biens de consommation possédés, vêtements, voitures, maisons…)
L’auteur se demande s’il est possible de générer d’autres formes de reconnaissance sociale, de réintroduire de la coopération au lieu « du tout concurrence ». De valoriser le scientifique découvrant une molécule salvatrice, l’enseignant qui apprend à lire à ses élèves plutôt que le trader…
Le G20 ne tracera jamais la voie d’un tel changement qui ne peut naître que pays par pays, peut-être dans l’UE par décision politique.
Quatre directions seraient prioritaires dans cette critique :
1- Exclure radicalement la santé et l’éducation du marché, et rétablir le droit au travail.
2- Ramener par la fiscalité l’éventail des revenus à un étiage tel qu’il ne rende pas la frustration irrésistible, cause d’une lutte permanente pour avoir plus, génératrice d’un gaspillage endémique et d’un véritable pillage géologique de la Terre.
3- Promouvoir et financer la transformation d’entreprises capitalistes en entreprises coopératives tout en laissant l’innovation et la recherche libre et récompensées par des gains financiers.
4- Remutualiser les produits de consommation tels que les assurances et les crédits et les produits alimentaires dans le genre AMAP. En relançant que cela se fait aux E.U. le maraichage et élevage bio près et même dans les villes…
Laisser le marché devenir le Léviathan, le monstre froid de l’ère économique, admettre la concurrence comme principe absolue qui se substituerait à la coopération c'est hypothéquer le lien social et promouvoir l’avènement d’une « di-société ».
« C’est œuvrer à la disparition même de la société, c'est-à-dire de l’humanité ».

la barbarie du sujet- interwiew de J. F. Mattéi ***

Voici un entretien avec le philosophe.
http://pagesperso-orange.fr/henri.dubuc/PAGES/LesMOTS/PHILO/NouvObs/3barbar.html


jeudi 22 octobre 2009

La barbarie du sujet

La barbarie du sujet



"J'aurais péri infailliblement si, par la force de mes propres bras, je ne m'étais enlevé par mes propres cheveux, moi et mon cheval, que je serrais fortement entre mes genoux"

R.E. raspes, Les aventures du baron Münchhauser



Aux deux bouts de l'histoire, l'oracle de Delphes et l'oracle de Vienne, Socrate et Freud, délivrent un enseignement similaire: là où est le chaos l'ordre doit advenir. Le ça qu'on écrase nécessite d'être sublimé en moi qu'on élève, pour donner naissance à cet être double qui vit et qui meurt de la lutte entre les pulsions d'Eros et les convultions de Thanathos .

De l'âme et du monde comme unification dans la raison universelle à l'homme intérieur détenteur de la vérité.

Dans l'antiquité, on voit converger l'âme, l'homme intérieur la personne et la conscience. Ces instances tiraient leur essence et leur dignité d'une origine extérieure à l'homme, divine ou démonique (une transcendance en mal ou en bien). La source vitale était ressentie dans une excentration qui interdisait à l'homme de se reposer en soi. Ainsi chez Platon, l'âme attachée à une étoile et fixée dans le monde est formée des Formes Pures étrangères entre autre au corps qui la reçoit et à l'univers qu'elle habite. Lorsque l'âme se détache du monde, elle sombre dans le chaos de la matière et le bourbier de la barbarie.

Chez les premiers Chrétiens, la quête de soi s'ordonne naturellement autour de cette intuition équilibré d'une âme ouverte sur l'univers et habitée par la divinité.

Au VI siècle, le pluriel de délibération (d'énonciation dirait le prof de Lettres) de la Genèse sera interprété comme des partitions réelles entre les personnes divines: seront distingués le Père,le Fils et l'Esprit Saint. C'est la naissance de la notion de personne qui ouvre l'espace à une nouvelle anthropologie qui insiste sur l'individuation et affaiblira le lien initial avec Dieu. La personne sera définie par Boèce comme" naturae rationnalis individua substancia"- une substance individuelle de nature rationnelle-.

La notion de conscience que Cicéron assimilait àla raison universelle interviendra plus tard, dans le monde chrétien pour témoigner de la parole de Dieu en l' homme. Le centre de gravité chrétien ne se trouve plus dans la Loi ancienne où sont restés les Juifs( extérieure à l'homme) mais dans la seule personne du Christ : " Vous tous, en effet, qui avez été baptisé en Christ, c'est le Christ que vous avez revêtu". ( Saint Paul).

L'esprit de Dieu en tant que règle morale universelle est fixé dans la conscience et la conscience dans l'intériorité, tout en sauvegardant l'extériorité de la source. C'est ce qui attache l'âme individuelle à l'âme du monde et avec les autres âmes : se trouve là les prémices de la raison kantienne qui place l'homme au centre de l'Univers. L'âme va sombrer dans "l'idion" et devenir une individualité livrée à son abandon. Ce mouvement de retrait de l'âme détachée du monde et de Dieu peut être interprété comme un processus d'intériorisation de la barbarie. Le barbare ne sera plus de l'autre côté du limes contenu par les frontières de la raison ou celles de la civilisation : il sera désormais à l'intérieur de soi. L'homme moderne va découvrir en lui cette fissure de l'âme, d'un côté un homme voué à l'universel (tel que le pensera l'humaniste de la Renaissance et de l'autre, un sujet replié sur le particulier, tel que le rêvera l'individualiste des Modernes. Cette fissure entre l'homme universel et le sujet va s'élargir pour devenir une fracture, bientôt un gouffre qui séparera l'homme de lui même.

Dès lors que le sujet tire son identité du seul entendement et que ce faisant il entre dans un processus de dissociation, dissociation de l'homme et de Dieu, de l'homme et du Monde, il contraint son identité à se soumettre à cette même dissociation. Celle-ci ( l'identité) met d'un côté sa dimension substancielle (sa nature profonde exprimée par l'universalité de l'homme, l'âme ou personne et de l'autre sa dimension formelle, c'est à dire le mode de fonctionnement du sujet défini par ses procédures internes, le labyrinthe). Le sujet moderne est fait de ses procédures de réflexion qui ne le renvoient jamais ou trop rarement à un contenu extérieur.

" Le passage de la substance à la procédure, d'un ordre qu'on trouve à un ordre que l'on construit, représente une immense intériorisation par rapport à la tradition morale platonico-aristotélitienne" . Taylor, Les sources du moi.

" L'autoproduction du sujet moderne, c'est l'autoproduction des règles virtuelles qui ne dépendent plus, à l'extérieur, d'une réalité universelle, mais d'un enchaînement de procédures formelles privées de finalité et de signification".

D'après JF Matthei, La Barbarie Intérieure.



L'homme contemporain

L'homme contemporain ne se conçoit plus comme un être subtanciel relevant d'une essence spirituelle, ce qui impliquerait la notion d'âme, mais comme un sujet procédural. La procédure se substitue désormais à la fin et le formalisme des opérations à la vérité de leur contenu. "L'intériorité du sujet évoque plutôt des enfilades de couloirs, de corridors, de bifurcations définies par des règles qui, suivies de façon correcte, ne conduisent l'homme qu'à son propre labyrinthe." JF M.

Le sujet contemporain fonctionne non pas avec un supplément mais un moignon d'âme. La plupart des hommes contemporains sont des barbares complaisants, nomades de leur propre désert.



Composition du sable mou de l'humanité
- la stratégie du vide,
- l'atomisation,
- l'apathie frivole,
- la désubstancialisation,
- la liquéfaction,
- la dissolution,
- la subjectivité totale sans but ni sens,
- le degré zéro du social,
- le repli douillet dans le ghetto intime,
- le narcissisme dans des relations humaines barbares et conflictuelles,
- la déchéance de l'inter subjectivité,
- le sentiment du vide intérieur,
- la culture individualiste et jusqu'au boutiste,
- un fond suicidaire,
- l'éclatement de la personnalité,
- la programmation disparate du moi,
- l'éradication des modèles transcendants,
- les violences sauvages,
- l'effet hard corrélatif de l'ordre cool,
- les tendances à l'autodestruction.

L'homme antique fondait la qualité de son âme sur le monde et ses néccesités ou un au- delà du monde platonicien, le Bien et ses déclinaisons. L'homme moderne fonde son moi sur lui-même : Me, myself, and I.

Ainsi : "Le subjectivisme extrême de l'homme moderne se manifeste par une double fuite ou une double retraite à l'égard du réel: la fuite de la terre pour l'univers et la fuite du monde vers le moi, avec le repli de la pensée réduite à un simple processus sur une conscience de soi totalement vide" Hannah Arendt


Le sujet moderne est un sujet dilaté, un sujet infini, refermé sur la clôture de son prope soi comme le dit Nietzche.

A ce niveau pour attrister un peu plus l'éventuel lecteur (ce début de blog est sélectif, ou ça passe ou ça casse, après le reste sera plus joyeux, plus porteur d'espoir), je ne résiste pas de citer les dernières lignes de la superbe métaphore filée d'Henri Laborit que l'on trouve à la fin de son essai, L'éloge de la fuite, 1976.

" Les hiérarchies occupèrent l'espace humain. Elles distribuèrent les objets et les êtres, le travail et la souffrance, la prospérité et le pouvoir. Les plumes bariolées des oiseaux de mes rêves remplissaient l'espace au hasard comme le nuage qui s'échappe de l'oreiller que l'on crève avec un couteau. Au lieu de conserver la majestueuse ordonnance de la gorge qui les avait vu naître, elles s'éparpillaient rendant l'air irrespirable, la terre inhabitable... les espèces dispararurent et l'homme se trouva seul au monde.

Il se dressa orgueilleusement, face au soleil, trônant sur ses déchets et ses oiseaux morts. Mais il eut beau tendre ses bras et refermer ses doigts sur les rayons impalpables, nul miel n'en coula.

Et du haut du clocher de ma cathédrale je le vis s'étendre et mourir. Le nuage de plumes, lentement s'afaissa sur la terre.

A quelques pas de là, perçant le tapis bariolé dont il l'avait recouverte, on vit lentement poindre une tige qui s'orna bientôt d'une fleur.

Mais il n'y avait personne pour la sentir."




jeudi 8 octobre 2009

Le mal penser

La pensée est la plus haute vertu.

Héraclite


Les hommes ont le tort de juger d'un tout dont ils ne reconnaissent que la plus petite partie.

Voltaire


 Edgar Morin fait de la complexité un problème fondamental à élucider. Au chapitre IV du sixième volume de La Méthode 2004, l'auteur énonce les différents modes du "mal-penser".


Edgar Morin


"Le mal-penser" :


1 / le morcellement et le cloisonnement des connaissances,
2/ l'ignorance des contextes,
3/ la simplification (" le black-out des complexités"),
4/ l'immédiateté, l'oubli du passé et la considération d'un avenir à court terme,
5/ l'absence de prise en compte de la relation passé, présent, futur,
6/ l'agir dans l'urgence et l'oubli de l'urgence de l'essentiel,
7/ La prédominance donnée au quantifiable et l'ignorance des notions de vie, d'émotion, de pensée, de malheur, de bonheur,
8/la logique déterministe et mécaniste de la machine artificielle appliquée à la vie sociale,
9/ l'élimination de ce qui échappe à une rationalité close,
10/le rejet des ambiguités et des contradictions comme erreurs du passé.
11/l'aveuglement face au sujet individuel et à la conscience,
12/l'obéissance au paradigme de la simplification,
13/l'insuffisance d'outils de compréhension et de diagnostics,
14/l'exclusion de la compréhension humaine.


 Certains de ces points méritent d'être développés, c'est ce que je ferai dans le courant de ce site.