Powered By Blogger

samedi 10 août 2013

Michel Onfray, une écriture flamboyante




Au gré de mes relectures, sans cesse digérées, sans cesse méditées, je relis Michel Onfray qui rajoute à la chaleur de l'été, la flamboyance de la pensée et de l'écriture. Voici quelques morceaux choisis du philosophe hédoniste qui me pardonnera sans doute de livrer au public quelques unes des réflexions choisies dans un de ses ouvrages, Politique du rebelle, Traité de résistance et d'insoumission, Editions Grasset,1997. A lire, comme tous les autres essais de cet auteur.

L'usine et le corps

"Le corps devenait une mécanique intégrée dans l'ensemble des fonctions de l'animal: respiration, digestion, circulation, flux d'airs et de vents, d'odeurs de miasmes, de solides et de liquides, de travail et de douleurs, d'hommes et de femmes. L'usine vivait à la manière d'un Léviathan embusqué dans les marécages. Les doigts pincés dans les clayons bleuissaient puis noircissaient de sang coagulé, les yeux piquaient à force de liquides brûlants instillés sous les paupières, les nerfs et les os du dos vrillaient l'influx et la colonne vertébrale dans les reins, les muscles des bras tremblaient tétanisés par la réitération de l'effort et la pensée vagabondait, mais toujours ramenée dans mon esprit au travail et aux conditions dans lesquelles elle s'exerçait.
La peau de mes mains commença à se gondoler, à gonfler, à blanchir, puis à partir, morceau par morceau..." ibid, page 18.

"Au pied de la chaîne de lavage où des jets de vapeur giclaient parfois en direction du visage de celui qui enfournait les cuves, j'ai travaillé avec un ouvrier fier de l'excroissance apparue à la jonction de son bras et de son avant-bras: une boule de viande, de chair, de muscle, construite et fabriquée par des milliers d'heures consacrées à la répétition du même geste..." ibid, page 19.

"Certains qui étaient là depuis trente ou quarante ans avaient fini par se fondre dans le paysage , par devenir des morceaux d'usine, des fragments de la bête qui soufflait toujours autant ses vapeurs méphitiques et ses brumes fades. Le matériau humain se confondait aux autres, au fer des poutrelles, au bois des palettes, à l'aluminium des cuves, au caillé flasque des fromages, aux mucosités noires qui dégoulinaient sur les murs comme des limaces..." ibid, page 24.

"Je fus du genre volant, sans tâche fixe, mais itinérant dans l'usine au gré des besoins, pour remplacer la plupart au moment des pauses de la matinée, quand le vin coulait à flots, quand les dents déchiquetaient les sandwichs épais et quand d'aucuns se dépensaient en ruts tragiques, enfermés dans les toilettes pour copuler comme des bêtes dans un zoo..." ibid, page 21.

                                                         


Les camps et le corps

"Pour tous ceux qui n'ont connu de destin que dans les fours crématoires et les cheminées de brique des camps; pour ceux dont les peaux tatouées ont servi d'abat-jour; pour ceux dont la graisse est devenue savon, les cheveux tissus; pour ceux, enfants, femmes et hommes qu'on a salis, avilis, humiliés, détruits; pour ceux qui en sont revenus, brisés, habités par des failles, des fêlures, des cauchemars qui creusent dans leurs lits la raideur des paillasses et transforment en suaire les draps où ils risquent tant de nuits d'être ensevelis par la mémoire sombre; pour tous ceux-là, il faut en finir avec les impasses de l'indicible et des expériences limites afin de vouloir la politique d'aujourd'hui et de demain éclairée par les leçons qu'il faut tirer de l'expérience concentrationnaire nazie.." ibid, page 35.

"Réduit à la pure individualité, à la protection de ce qui, en soi, fait le substrat de toute vie et de toute survie, Robert Antelme met au jour un principe nommé par lui la veine du corps selon lequel, devant le spectacle de celui qu'on bat, qu'on frappe, il y a toujours, au fond de soi, là où croupissent et gisent les parts maudites, une satisfaction d'un genre un peu particulier, une jouissance d'un mode étrange, qui suppose un plaisir à ne pas être cet homme frappé. Non pas qu'on jubile de la souffrance de l'autre, mais qu'on s'en protège, en évitant qu'elle nous contamine dés lors que l'événement vaut comme le plaisir d'une douleur évitée, principe d'un hédonisme négatif. Touché par la compassion, fragilisé par le condouloir, toute individualité soumise au rythme et aux cadences violentes des camps de concentration aurait purement et simplement explosé. Veine du corps donc..." ibid, page 40. 


Dans un autre domaine: Le journal de Personne, Pourquoi tant de haine?


                                                       



                                                     

          
Une dernière citation de Michel Onfray, pour la route:

"De l'individu ainsi décrit, montré, circonscrit, de cette figure rendue possible par le dénuement, la déconstruction maximale, il s'agit de faire quelque chose.Tombé au degré zéro de l'unité, face à ce qui permet de construire ou reconstruire, il s'agit maintenant de remonter vers une complexité qui détermine et définit le passage de l'ontologie et de la métaphysique à la politique.Toute politique, classiquement, propose un art de soumettre l'individu et d'en faire un sujet à l'aide des travers et avantages que permet une personne. Elle excelle comme technique d'intégration de l'individualité dans une logique holiste où l'atome perd sa nature, sa force et sa puissance. Toutes les utopies déclarées, mais également les projets de société qui ont prétendu se réclamer de la science, de la positivité, de l'utilitarisme le plus sobre, ont posé cet axiome: l'individu doit être détruit, puis recyclé, intégré dans une communauté pourvoyeuse de sens. Toutes les théories du contrat social s'appuient sur cette logique: fin de l'être indivisible, abandon du corps propre et avènement du corps social, seul habilité, ensuite, à revendiquer l’indivisibilité et l'unité habituellement associées à l'individu.
 Or, la politique qui construit sur, par et pour la monade reste à écrire. En tant qu'art d'oublier, de négliger, de contenir, de retenir, de canaliser, de dépasser ou de pulvériser l'individu, elle propose depuis des siècles des variations qui toutes se font sur le thème de cette négation. Jamais l'individu n'est perçu et conçu comme une entéléchie, mais toujours comme une parcelle, un fragment qui appelle, pour être réellement, un grand tout prometteur de sens et de vérité.Soumission, sujétion, assujettissement, renoncement, subsomption, c'est chaque fois au nom du tout qu'on appelle à en finir avec la partie, qui, pourtant triomphe comme un tout à elle seule." ibid, page 41.

ATELIER D’ÉCRITURE

Écrire un texte flamboyant, avec des images fortes, des métaphores, des comparaisons, des termes choisis pour leur sonorité, leur expressivité, leur connotation épique, poétique. Ce n'est pas un sujet facile mais l'essentiel est de démarrer. Vous pouvez envoyer aussi un passage coup de cœur, à kayak83@orange.fr, cela sera publié sur Écrire, penser, comprendre.

Au plaisir de vous lire!